« Mon corps tout entier est inclus dans mon pied »
Nathalie Quintane, Chaussure, éd. P.O.L, 1997
C’est comme ça : on associe d’abord la danse, et cela semble a priori normal, aux pieds.
Nus ou chaussés. Pourquoi pas, direz-vous, bien sûr, question de gravitation universelle sans doute : l’attraction vers le bas, vers le sol. Mais c’est idiot, parce que la danse, n’importe quelle danse, c’est une évidence, un lieu commun, ne se limite pas aux pieds.
Nus ou chaussés. Non, non : la danse, quelle que soit sa nature, raffinée ou sommaire, folklorique ou savante, classique ou post-moderne, surcodée ou libre, « non-danse » même, tout ce que vous voulez, tout, hip-hopée, twistée, jerkée, celle même qui fait dans le vaporeux, la dentelle, le tutu et les chaussons pointus, implique le corps entier, chacune de ses parties, des pieds (nus ou chaussés) à la tête. Les pieds sont en quelque sorte la base, si tant est, d’ailleurs, qu’elle reste verticale, la danse, sur ses deux jambes campée. Ce qu’elle n’est pas toujours.
Le secret de la danse, un tantinet indéfinissable il faut bien le dire, est ailleurs.
Tentons tout de même ces généralités : dans la grâce, dans le mouvement, fluide, lyrique, ou cadencé, ou saccadé, dans la tension tenue ou l’énergie lâchée, frénétique, décousue, dans la soudaineté, la fulgurance, l’abrégé, ou dans la durée. Mais dans le regard aussi. En plus !
Le prouve The George Tremblay Show avec sa Petite danse du Bal du Printemps de Septembre.
Danse chaussée celle là ! Mais pas n’importe comment. Car les pieds sont immobiles dans des chaussures, oui, immobiles, semelles fixées aux socles sur lesquels ils reposent.
Étrange carapaces ? Chaussures prisons ? Démonstration de ce que la danse implique le corps entier.
Par l’exemple ! Les pieds figés, empêchés en quelque sorte de s’exprimer, obligent le corps à produire des gestes de substitution. À utiliser tous les membres, tête comprise. Ce qui se voit le mieux après les pieds dans la danse, dans toutes les danses, ce sont les bras et les mains et les doigts au bout.
Mais les cuisses, le dos, le cou, le thorax, le bassin (ô Elvis !) participent tout autant de la danse, toutes les danses.
Paradoxe : danse sans les pieds, les chaussures crèvent les yeux dans la saynette chorégraphique, burlesque et sentimentale qu’est la Petite danse. Serge Provost et Isabelle Fourcade, chacun sur son podium circulaire riquiqui faisant face l’un à l’autre tels deux ilots cernés d’eau infranchissable, gesticulent dans la lumière un duo sans contact, désarticulés, lui keatonien tiré à quatre épingles dans son costume gris clair, elle gracieuse dans sa petite robe noire de bal, cependant qu‘Yma Sumac, le « Rossignol des Andes » s’envole…
Le mambo, c’est là-haut !