PAS DE PROGRÈS SANS PRATIQUE

Laurence Cathala, 2017

Un salon à Oullins — en Écosse — où flotte une odeur indéfinissable et mélangée (cire pour le bois, thé parfumé, vestiaire sportif)...
Dehors, la pluie fouette les vitres. La bouilloire siffle, et bientôt les cuillères teintent dans les tasses.
On se regarde.

La Peinture : — Je me sens très vieille.
La Performance : — Je me sens un peu jeune.
La Peinture : — Cela dit, je suis vieille.
La Performance : — On dit que je suis jeune, mais je fais jeune, c’est tout.
La Peinture : — Bon, enfin, disons qu’il m’a peinte il y a un bon moment.
La Performance : — Le peintre ?
La Peinture : — Oui.
La Performance : — Mais les autres, LES peintres ?
La Peinture : — Oh, eux, ils me peignent depuis des millénaires, ils faisaient déjà ça sur les murs des grottes, paraît-il ...
La Performance : — Ici, nous avons un mur. Mais ce n’est pas vraiment une grotte.
La Peinture : — Non ça n’a rien d’une grotte, il y a du parquet.
La Performance : — Une scène. C’est une scène.
La Peinture (dans un soupir) : — Avec vous il faut toujours une scène...
La Performance : — Pas forcément, ne faites pas l’idiot. Ou alors des fois, l’autre scène, la scène du film.
La Peinture : — Ah oui, vous voulez dire la danse des petits pains...
La Performance : — Je la transforme en danse des petits pas. Avec des charentaises, puis des baskets, puis des chaussures à talons....
La Peinture : — Mais comment peut-on, dans la vie, passer sans arrêt des charentaises aux chaussures de sport et aux talons hauts, ça n’a pas de sens.
La Performance : — Je le fais pourtant tous les jours, de même que sous la veste de jogging, la chemise de smoking ou la petite robe noire ne sont jamais bien loin. C’est très évolutif, et ce, dans tous les sens.
La Peinture : — Et sous la chemise ?
La Performance : — Comme sous la chaussette. Ne faites pas semblant.
La Peinture : — Ce qui m’intéresse, c’est évidemment la couleur de cette chaussette. Elle est vert-kaki-moutarde ou je ne sais quoi, elle est un peu indéfinissable...Quant à la chair...
La Performance : — A quoi bon décrire la couleur de la chair ?...
La Peinture : — La décrire, sans doute pas, mais la peindre, certainement. Depuis toujours. Mais décrire ou peindre, au fond...
La Performance : — Je préfère écrire et faire. J’ajoute jouer.
La Peinture : — Oui. Vous jouez comme deux enfants. C’est à dire pour de bon, à partir d’une image dans votre tête.
La Performance : — C’est parce que justement, dans votre tableau, il manque les personnages, en quelque sorte.
La Peinture : — Disons qu’ils ne sont pas là à ce moment-là. Ils se reposent. N’avez vous pas vu leurs chaussons ?... C’est épuisant d’être dans la peinture, vous savez.
La Performance : — Cela dit, après il faudra retourner au travail, et ne pas rater la cible. Quel stress à chaque fois, quel trac.
La Peinture : — « Mais vous n’êtes pas des machines, vous êtes des hommes. »
La Performance : — Et pour les hommes, comme pour les machines, le Progrès rime t-il à quelque chose ? Vous avez écrit et peint : « Pas de progrès sans pratique »... Qu’est ce que la pratique ? Hummhmm, la vitalité ne suppose pas de pratique, elle se jette à votre tête, comme ça, tout de suite et pour toujours, ou pas du tout.
La Peinture : — Pour vous c’est pareil. On voit les ficelles. Je vois le scotch de la cible qui se décolle et pendouille du mur, je vois les traces de pinceaux, les lettrages faits à la main. J’imagine aussi la répétition de vos gestes, comment vous les avez mis en mémoire dans vos corps.
La Performance : — Chez vous aussi je peux voir les scotchs. J’ai entendu Thomas Huber dire une fois qu’il n’utilise pas de scotch. Que deux masses de couleurs côte à côte, ça se peint. Juxtaposées ? Superposées ? Où est la limite ? Comment est-elle, précisément, qu’est ce que cela change ?
La Peinture : — Oui ça se peint, c’est à dire que ça se pense.
La Performance : — On ne pense pas les pieds cloués au sol. Il faut pouvoir marcher et courir. Monter sur un escabeau pour arroser la scène, les gens. Le public.
La Peinture : — Sans doute. On peut aussi laisser les chaussures clouées là, et partir pieds nus. Qui a dit que nous avions tant besoin de charentaises, de baskets et d’escarpins quand on TANZ ? Peu importe, il suffit de laisser la fenêtre ouverte, de se laisser guider par le chant des oiseaux.
La Performance : — Des oiseaux bleus et rouges. Il me semble effectivement qu’ils chantent.

Dehors, La pluie s’est arrêtée.
On écoute.

 

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