High Voltige (LÀ-HAUT)

Hervé Brunaux, 2016

Mazette, quel équilibre ! Quel défi aux lois de l’apesanteur ! Quel vertige ! Chacun retient son souffle.
Roulement de tambour, l’angoisse est à la hauteur de l’événement. Quand Serge s’élance, condor en habit de lumière, l’air se met à vibrer de frissons ébahis.
Il maintient fermement le trapèze, la magnésie dont il a enduit ses paumes dessine des trainées farineuses sur ce simple morceau de bois, ce bâton glissant qui le relie à la vie.
Il dompte enfin l’espace en une majestueuse hyperbole. Sa musculature exercée fige son corps longiligne sous les oh ! et les ah ! du public frémissant. La jonction s’opère, il est sauvé !
On s’en doutait, certes, on l’a déjà vécu, pardi, mais avec ces acrobates tout peut arriver.
Sans filet, aucun entraînement ne peut garantir l’innocuité de l’exercice.

Sa partenaire l’a accueilli sur sa propre plateforme. Confiante, Isa se pavanait gracieusement à l’heure du saut de l’ange. Inconscience de la jeunesse ! Son sourire et ses déhanchements semblaient signifier « voyez donc, voici venir l’unique, le grand mégalomane, voici venir mon homme aérien, je l’attends sereinement dans notre nid d’amour au printemps des à-pics ».
Ou quelque chose comme ça. Après deux ou trois autres prouesses de son alter ego, finies les frivolités en justaucorps scintillant. Elle se concentre à son tour. C’est à lui de frémir pour elle.
Clyde Barreau tremble pour sa Bonnie Parcoeur. Roulement de tambour réitéré. Elle, aux nerfs trempés dans le même acier bouillant, fend l’éther sans plus attendre. Et voilà, c’est reparti. Le duo étourdit les spectateurs en facéties graciles toujours plus insensées. Passe-simple croisée, contre-volée, demi-tour twist, tout y est. Lui la porte elle, elle le rattrape lui.
Chair de poule garantie, messieurs-dames, votre intuition ne vous avait pas menti.

Alors, qu’importe si le sol de carreaux vintage se situe quasiment sous leurs pieds, à nos célestes artistes. Qu’importe si le plafond de la galerie N’A Q U’1 ŒIL, vingtième anniversaire ou pas, ne permet guère d’envolées sous chapiteau. Qu’importe si les prises d’élan de tous les dangers culminent à la hauteur de vulgaires escabeaux. Le mime est si millimétré, la conviction si souriante, l’illusion si délicieusement enfantine, que chaque spectateur pointe le nez vers les étoiles.
Nous ne sommes plus dans la supercherie, nous sommes dans le rêve. La performance navigue dans l’au-delà de la parodie, elle est devenue un monde en miniature, un instant de grâce qui ne se dévoile qu’ici et maintenant.

« Là-haut », ça s’appelle. Oui, bien perché, assurément.
L’art contemporain est décidément un drôle de cirque.

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