Drive

Maya Trufaut, 2021

Acte I
Château royal de Blois.

Sous le porche d’entrée, une agitation. Un attroupement s’est formé et les chuchotements se chevauchent pour se révéler à l’unisson : que se passe-t-il dans la cour d’honneur ? Soudain la grille s’ouvre et le silence s’installe. Seul le bruit des pas résonne sur les pavés. Il est 20h.

Là, au beau milieu de la cour, des automobiles de collection trônent fièrement face à l’aile classique du château. Cadillac, Morgan, Alfa Romeo, Méhari et Austin-Healey brillent sous les rayons d’un soleil de soir d’été, inespéré, après une longue journée grise. Le public s’avance et déambule entre les voitures, intrigué et attentif à l’action qui semble suspendue. Pourquoi les conducteurs attendent dans les véhicules à l’arrêt ?

En suivant leur regard, tout s’explique. Quelques mètres plus loin, sur les marches de l’entrée de l’édifice, un homme et une femme se tiennent fièrement, en tenue très habillée, près d’un micro. Leur apparition inopinée donne à cet instant un air de cérémonie. L’homme descend de son estrade improvisée et sort un chiffon pour frotter le capot de l’une des automobiles, comme pour enlever une poussière qui la ferait moins briller qu’une autre. Tout est fin prêt, astiqué dans le moindre détail, parfait comme un décor factice.

La femme saisit le micro et prononce un discours. Assez rapidement, les phrases déclamées semblent familières et laissent une étrange impression de déjà-vu. La sensation persiste. Puis tout se révèle. Ce sont les mots de Malraux. Non, de Kennedy. Les deux ? C’est dans les bribes de phrases reconnues que l’on comprend que l’hybridité de ce discours n’a qu’un but : célébrer l’automobile d’hier comme un chef d’œuvre d’aujourd’hui. Un patrimoine qu’il faut avoir le courage de faire revivre, « non pas parce que c’est facile, mais bien parce que c’est difficile ».

Si l’on s’attend à voir partir les voitures vers la lune, ce n’est pas pour tout de suite. L’homme descend les marches et tend une pancarte sur laquelle il est écrit « klaxon », rappelant les panneaux « applaudissez » au théâtre. Avant même que les véhicules n’opèrent, il pointe une baguette de direction et répartit les coups de klaxons, à la manière d’un orchestre. La femme le rejoint et tous deux, ensemble, alternent les panneaux qu’ils brandissent avec emphase.

Les vrombissements des moteurs et le bruit des klaxons se mêlent et retentissent dans la cour du Château royal de Blois en un concerto d’automobiles, auquel se superposent les rires interloqués du public. C’est la cacophonie. Mais elle a quelque chose de mélodieux, dans la singularité de sa dissonance. On pense à Fluxus, aux concerts de bruits et au potentiel musical de ce vacarme inouï.

Soudain le calme revient. On peut lire sur les dernières pancartes « action » et « ça tourne ». Les voitures démarrent et puis s’éclipsent. Le film peut commencer.

 

Acte II
Fondation du doute

On retrouve les véhicules un peu plus tard dans la Cour du doute, devant le Mur des mots de Ben. Ils sont de nouveau à l’arrêt mais, cette fois, les conducteurs ont déserté. Face à eux, un écran de projection blanc, et vide. Que s’est-il passé pendant ce laps de temps où, hors-champ, les voitures ont pris la fuite ? Dans ce silence équivoque et fantomatique, le public circule, observe et se questionne. Il est évident que quelque chose se trame, mais quoi ?

C’est à 22h, dans la nuit noire, que l’action reprend subitement son cours. D’un coup, la lumière, l’image, le son. Une surcharge d’informations. Tout se mélange et on ne sait plus où donner de la tête. Sur la toile de projection, des extraits de films connus s’enchaînent. Tous différents et pourtant, tous montrent des images similaires de routes. Les véhicules, quant à eux, sont toujours éteints et statiques mais ne demeurent pas pour muets pour autant. Chacun diffuse un extrait sonore d’une scène de voiture dans un film, nous plongeant ainsi dans un univers fictif.

En écoutant les extraits de La fureur de vivre, du Mépris, en passant par Chat noir, chat blanc ou encore Le gendarme de St Tropez, on comprend que la figure de l’automobile est partout, tout le temps. C’est un leitmotiv qui lie toutes les histoires. Plus, c’est l’incarnation de l’action, du mouvement, de l’aventure et de la liberté. Le discours prononcé plus tôt nous revient alors en mémoire : la voiture de collection est ici une œuvre d’art, un ready-made, activé par la performance.

Soudain, une jeune fille passe entre les véhicules, avec des accessoires, allant des bougies aux plaquettes de frein. Est-ce une garagiste ? Pourtant, elle a l’apparence d’une ouvreuse de cinéma, avec sa panière. Et là, on sait qu’on a fait fausse route, depuis le début. Il ne s’agit pas de la voiture, dans son individualité, mais de l’ensemble. La cour, l’écran de projection, la lumière, les films. Tout. Le public est alors pris au piège, transporté dans un drive-in des années 1950. Il n’est plus seulement spectateur, mais bien acteur. En levant les yeux, sur le Mur des mots de Ben, on peut lire : « Tout est art ». Oui. Et ce soir, c’est sous l’effet du The George Tremblay Show.

 

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