« Échelles »

Anthony Lenoir, 2012

De la résine, du sable gris, des moules, les boites à noyaux d’un filtre à huile provenant d’un hélicoptère militaire, et pourquoi pas la maquette d’une cité utopique.
L’esthétique choisie par Florian de la Salle semble évidemment faire référence à celle de Marcel Breuer pour la construction de Flaine, avec l’utilisation massive du béton. Mais la volonté du premier n’est pas de présenter un hommage au « maître » du Bauhaus. Il s’agit plutôt de reconnaître que ce choix était induit par l’environnement et que toute autre possibilité aurait été néfaste à celui-ci.

Ceci paraît résumer Échelles mais l’exposition repose également sur une double définition (de ce terme), car il n’y a justement pas de changement d’échelle, ou tout du moins pas si l’on prend ces maquettes pour ce qu’elles sont en réalité : c’est-à-dire les représentations de filtres à huile d’hélicoptère. En revanche, si notre regard les transportent du côté de l’architecture, dans ce cas précis, elles prennent leurs définition d’« échelles » car elles deviennent dans l’instant des maquettes.

Pour comprendre cela, entrons quelque peu dans le détail. Développés à partir de dessins et schémas de réalisation d’un filtre à huile, les moules sont exécutés en sable gris mélangé à de la résine pour le maintien. Ces formes étranges une fois produites, font inévitablement référence à l’architecture et principalement celle d’usine pétrochimique ou métallurgique. Une fois réunies et agencées au sein d’îlots formés de plaques de béton comme c’est ici le cas, ces constructions en sable fabriquent la maquette d’une ville utopique dont la vie humaine et sa circulation sont organisées selon une optimisation des flux dudit filtre à huile dont la conception œuvre sous le secret militaire. À la base, la garantie d’un moteur fiable pour les hélicoptères provient du fonctionnement et de la fluidité des systèmes de circulation.

Dans le cadre de ce projet, ils assurent également un potentiel de réalisation maximal alors que celui-ci n’a aucune prétention architecturale. C’est dans cette ambiguïté que repose une partie de l’intérêt que l’on peut porter à ce projet. Néanmoins pour Florian De la Salle, il n’était pas question de concevoir la « Cité idéale » mais d’identifier dans l’industrie aéronautique des agencements susceptibles d’organiser des plans urbanistiques ou tout au moins d’y faire référence. Face aux compositions de filtres, boulons, carburateurs, etc., notre connaissance de l’espace architecturé se trouve déroutée jusqu’à nous faire perdre de vue l’origine de cet objet : une maquette de filtre à huile.
Une fois ce basculement opéré, cette installation n’avait plus qu’à laisser observer la mise en relation des objets avec les personnes de par le cheminement induit par les plaques de béton retirées les unes après les autres. Créant de véritables îlots sur lesquelles émergent les structures/objets, nos déplacements sont alors influencés au même titre que le positionnement des ilots par l’environnement dans lequel l’installation s’est construite. Dès lors, nos déplacements, tout comme dans une ville, se trouvent réduits aux flux permis par les urbanistes.
On pourrait demander pourquoi venir jusqu’ici pour montrer ces maquettes.
Étant l’instigateur de cette invitation, je crois que je répondrais par une interrogation : « La montagne, de par la possibilité de sortir des pistes tracées et donc des contraintes de fluide, ne serait-elle pas, aujourd’hui, l’un des derniers lieux où le hors-piste laisse présager de la possibilité d’ouvrir de nouvelles voies, notamment architecturales ? »

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