Florian de la Salle

vu par

Didier Arnaudet

Devant l’inconnu

Florian de la Salle vise à la qualité d’un lien entre le geste et la matière. Ce qui caractérise ce lien, c’est une souplesse qui concilie rigueur et détente, résistance et poussée, centre et périphérie. Le geste assemble, grave, sculpte, moule, bobine, malaxe, combine, coupe, colle, enfonce, plie, dessine, restaure, prolonge, colore, enroule, et la liste s’allonge au fur et à mesure des actions. Il concentre l’épaisseur vitale du corps, porte la puissance de la pensée, libère l’énergie sous divers modes d’émanation et d’inspiration, oblige à la fois à la recherche et à la saisie rapide. La matière a la compacité et la bienveillance, l’euphorie et de la dureté, l’incertitude et l’appétence, l’assurance et la transparence, l’appel et la promesse, l’éclat et l’insistance du bois, de la cire d’abeille, de la paraffine, du fil de cuivre, du Plexiglass, du béton résine, du miroir, du papier buvard, du sel, de l’émail, de la porcelaine et de bien d’autres sollicitations. Sans baisser la garde, sans méconnaître ni les dangers ni les illusions, elle se prête à toutes les incursions, répond à tout ce qui la déplace, la surprend et l’amène à son degré le plus élémentaire où elle entre en résonance avec elle-même et s’affirme avec le plus d’ardeur.Le geste et la matière ne s’ouvrent l’un à l’autre, ne se livrent réciproquement dans toute leur ampleur qu’en se laissant mutuellement pénétrer. Or ceci ne peut se faire que par une relation sans cesse redistribuée et basée sur des valeurs d’accueil et d’échange. Il en résulte une présence constante de l’expérience plurielle qui ébranle l’ordre acquis, provoque et entrelace l’apparition des différences et l’évidence des corrélations, et engage le processus de leurs nécessaires mutations. Le geste se dote ainsi de sa propre matérialité et, sans se confondre, s’accorde à la substance qui l’a généré. La matière participe à une connaissance du geste et se plie à l’exigence de sa mise à l’épreuve, sans perdre le contrôle de ses ressources.De cette singulière alliance découle une forme qui échappe à une détermination rigide. La diversité de ses orientations lui apporte les voisinages les plus étranges. Cette forme convie au coude à coude le réel et l’imaginaire, le sensible et la rigueur, la fluidité et la rudesse. Elle ne dépend d’aucun désordre, d’aucune fantaisie, mais revendique une indépendance qui la dégage de toute étroitesse. Sentinelle, outil, écho, architecture, rêverie, circulation, vestige, damier, fantôme, addition, réminiscence, vocabulaire, surprise ou pacte, elle se manifeste comme un pur passage d’un niveau à un autre, et se déploie comme une incitation à l’investigation, un désir de lumière, mais se resserre aussi comme une ombre défendue, un espace clos, un silence. Elle demande une attention soutenue non pas pour être comprise, mais pour lui laisser le temps de faire remonter à la surface de son incertitude le jeu des rencontres et la gamme des bifurcations et des envolées. Florian de la Salle fait en cela indirectement écho à l’interrogation brûlante de René Char : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? »

Mars 2019

Commande Documents d’artistes Nouvelle-Aquitaine

In front of the unknown

Florian de la Salle is in search of a link between motion and matter . What defines this link is a suppleness which reconciles rigour and detente, resistance and thrust, centre and periphery. The gesture assembles, carves, sculpts, moulds, winds, kneads, combines, cuts, pastes, pushes in, folds, sketches, restores, prolongs, colours, rolls up, and the list extends with the actions. It concentrates the vital breadth of a body, sustains the power of thought, releases energy in diverse modes of expression and inspiration, forces one to both search and rapidly perceive. The material has the compactness and benevolence, the euphoria and severity, the uncertainty and attractiveness, the assurance and transparency, the appeal and promise, the lustre and insistence of wood, bee’s wax, paraffin, copper wire, perspex, resin concrete, of a mirror, blotting paper, salt, enamel, porcelain and many other solicitations. Without letting down its guard, conscious of the dangers and illusions, it is open to all incursions, responds to everything that displaces it, surprises it and reduces it to its most elementary level, where it enters into resonance with itself and affirms itself with the greatest intensity.

Motion and matter only open up to one another, only give themselves up reciprocally in all their fullness by letting themselves mutually penetrate. Now this can only happen through a relation that is continually redistributed and based on values of reception and exchange. It results in the constant presence of a multiple experience which unsettles the acquired order, provokes and links the appearance of differences and the evidence of correlations, and engages the process of their unavoidable mutations. The gesture thus acquires its own materiality and without confounding with it, accords with the substance that generated it. The material becomes aware of the gesture and yields to the demand of being put to the test, without losing control of its resources.

From this unique alliance emerges a form that defies rigid determination. The diversity of its orientations allows the most strange juxtapositions. This form conjures up side by side the real and the imaginary, sensitivity and rigour, fluidity and roughness. It is not based on any disorder or fantasy, but proclaims an independence which frees it from all narrowness.

Sentinel, tool, echo, architecture, dream, circulation, vestige, checkerboard, phantom, addition, reminiscence, vocabulary, surprise or pact, it appears like a pure passage from one level to another and unfolds like an invitation to investigate, a desire for light, but also retracts like a forbidden shadow, a closed space, a silence. It requires sustained attention, not to be understood but to give it the time to bring to the surface of its uncertainty the interplay of encounters and the panoply of bifurcations and curves. Florian de la Salle thereby echoes indirectly the burning question of René Char, “How can one live when not in front of the unknown ?”

Didier Arnaudet, March 2019

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