[exclu] “Hot-Dog”, film drôle et absurde de Julie Chaffort, en ligne pendant 15 jours

Anna Hess, 2015

Un vendeur de hot-dogs déambule dans une île enneigée, croisant sur sa route d’étranges personnages et un pingouin automatisé. Un film touchant, et à l’humour grinçant, que l’artiste partage en ligne jusqu’au 4 septembre.
Surréaliste, burlesque, étrange et parfois dérangeant, l’univers de la réalisatrice Julie Chaffort se déploie dans les décors merveilleux de forêts mystérieuses et de lacs paisibles, troublés par l’irruption saugrenue de personnages décalés. Réalisé au cours d’une résidence, Hot-Dog est une mosaïque de destins singuliers se croisant dans le paysage hivernal de l’Ile de Vassivière. A découvrir en ligne jusqu’au 4 septembre.

 

Quel a été ton parcours, après tes études à l’Ecole des beaux-arts de Bordeaux ?
Plus que la vidéo, c’est le cinéma qui m’a toujours intéressée. Dès que j’ai fini les Beaux-Arts, j’ai eu envie de faire un long métrage et j’ai commencé à écrire un scénario en y associant tous les personnages que j’avais mis en scène dans mes vidéos pendant mes études. Cela a donné Some Sunny Days, un road movie expérimental dans les Landes, puis Wild Is The Wind, dans lequel j’ai inséré davantage d’éléments plastiques et d’installations. Je construisais déjà mes films par tableaux. J’ai ensuite travaillé en Suède avec le réalisateur Roy Andersson puis j’ai fait la Werner Herzog’s Rogue Film School à New York. Au bout d’un moment, je me suis demandée quelle serait ma propre façon de gérer ma production de films. J’ai eu de plus en plus envie de faire des résidences : je suis d’abord allée au Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière en 2013, puis au Centre d’art et de diffusion CLARK à Montréal en 2014, et cette année à Pollen, à Monflanquin.

Qu’est-ce que cela change pour toi de produire tes films dans le cadre de résidence ?
Réaliser des films pose de vraies questions de financement. J’ai commencé par avoir une production classique de cinéma en faisant des dossiers pour avoir des subventions avant de me rendre compte que ma façon de travailler, et de raconter, s’insère plus dans le champ de l’art contemporain. Je ne peux pas écrire le type de scénario demandé pour les aides cinéma, je travaille très rapidement avec des moyens très légers... Les résidences me permettent ainsi d’avoir une discussion artistique avec des personnes qui comprennent ma façon de travailler et qui m’épaulent. De plus, être porté par une structure comme un centre d’art permet une meilleure diffusion du travail.

Le lieu de la résidence influe donc énormément sur le projet, non ?
En effet, et c’est génial. J’aime passer du temps dans un endroit que je ne connais pas, arpenter ces nouveaux paysages. C’est le but de la résidence : faire des rencontres et être poussé à la création. Pour mon film La Barque silencieuse, que j’ai réalisé cette année à Monflanquin, je suis allée voir toutes les associations, j’ai passé des soirées au club de théâtre, de chant, d’archéologie, de boxe... c’est à partir de cela que j’ai commencé à écrire. Je suis vraiment partie des gens que j’ai rencontrés et de ce qu’ils savaient faire.

La vidéo Chiens-loups que tu as présentée au concours création vidéo Sosh aime les inRocKs lab a-t-elle était réalisée pendant l’une de ces résidences ?
Oui, en 2014 au centre CLARK à Montréal lors de la résidence croisée avec Zébra 3 à Bordeaux. J’ai réalisé pendant cette résidence une installation composée de trois vidéos. La vidéo Chiens-loups a été faite en parallèle, je ne l’ai pas montrée dans l’exposition. Elle s’ajoute à une série de courtes vidéos mettant en scène des animaux et leur représentation que je développe petit à petit, sans trop y penser.
J’étais partie filmer des paysages. En fait, je faisais écouter aux paysages de la musique, une bande-son avec des hurlements de loups, sur une petite platine. En revenant à ma voiture, j’ai vu ces trois énormes chiens-loups sur le parking. Je me suis dit que je ne pouvais pas laisser passer ça ! Nous avons tourné une seule prise, entre deux voitures. Il fallait saisir cette chance au vol.

Quel a été le point de départ de Hot-Dog, que tu as réalisé au Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière ?
J’ai un lien très fort avec le paysage de cette région où j’ai vécu un temps. Lorsque j’ai postulé pour cette résidence, j’ai découvert que « Vassivière » en occitan signifie un troupeau d’agneau. J’ai tout de suite eu en tête l’image d’un radeau flottant sur le lac avec des moutons ! Puis, j’avais été marquée par le personnage d’Ignatius dans le livre de John Kennedy Toole, La Conjuration des imbéciles, un homme érudit et grotesque qui devient par la force des choses vendeur de hot-dogs. Il est affublé d’une carriole qu’il a du mal à faire avancer... J’ai pensé que le fil rouge du film pourrait être un personnage qui pousse, de façon complètement absurde, un chariot à hot-dogs, en plein hiver à Vassivière alors qu’il n’y a personne. A partir de ces deux premières idées, j’ai commencé à construire mes scènes. L’île à cette période est très silencieuse, et j’avais envie d’y faire du bruit ! J’ai donc imaginé une sorte de fin du monde où les personnages essayent de s’enfuir. Je voulais mixer plein de personnes différentes, jouer du trop. C’était le plus gros projet que je réalisais alors, beaucoup de monde y a participé, et les conditions climatiques de tournage étaient intenses : il neigeait, grêlait, pleuvait... c’était éprouvant.

Tes films sont composés de successions de tableaux, qui sont autant d’interventions dans le paysage. Celui- ci prend une place très importante : il entre en interaction avec les objets, ou personnages, décalés que tu y places, créant ainsi ce sentiment d’étrangeté, de surréalisme particulier à ton travail...
Le paysage est en effet un personnage en tant que tel. Je passe beaucoup de temps à faire du repérage, le choix des lieux étant primordial. Pour moi la vie se passe dehors, je n’arrive pas à imaginer des choses en intérieur. J’adore me balader avec mes nouvelles trouvailles et chercher ce que je peux en faire. C’est comme si j’avais plein de jouets et que je m’amusais en les associant. Ce sont des images qui me viennent et que j’ai envie de travailler. Ça part de l’amusement, de la découverte d’un objet et d’une connexion qui se fait avec un lieu.
Ce que j’aime en filmant dehors, c’est qu’il y a beaucoup d’éléments imprévisibles. Tu arrêtes une date de tournage sans savoir s’il fera beau, s’il va pleuvoir ou avoir du vent, s’il va faire froid... Tourner dans des conditions compliquées, comme filmer une danseuse de flamenco sur une barque, c’est déjà une performance en soit : pour elle qui danse sur ce sol instable, et pour moi qui suis également sur une barque avec ma caméra. Il faut tout le temps s’adapter. C’est un élément très important de mon travail. L’installation avec les ballons-zèbres ne marcherait pas s’il y avait trop de vent, ils tomberaient tous par terre. Ce sont à chaque fois des moments de grâce.

entretien avec Julie Chaffort, les InRocks, 20 août 2015

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