Maria Ibanez Lago : Comment s’inscrivent dans ton travail les deux objets et les deux dessins que tu montres à Assemblage #10 ?
Ghislaine Portalis : En 2010 j’ai réalisé une première coiffe piquée d’aiguilles. Cette idée m’est venue à partir d’une gravure de perruques du XVIIIe siècle, avec une série de quatre grands dessins de 2 x 1,20 m sur papier aquarelle Arches dont deux sont percés avec une aiguille de tapissier. Les trous produisent un gaufrage, un relief qui imite une écriture en braille. Donc, l’objet « aiguille » était déjà présent.
…et aussi le choix d’objets en lien à la tête.
Les chapeaux, les perruques, m’ont semblé pouvoir remplir à la fois le côté sensuel et agressif toujours présents dans mon travail. Sans savoir quelle sensation pouvait naître à la fin, j’ai garni l’intérieur de ces chapeaux avec une grande quantité d’aiguilles de couturière. Une fois l’objet terminé, l’aiguille disparaît complètement en tant qu’objet piquant et donne un aspect soyeux de fourrure animal.
Comme si on retrouvait le poil ou les cheveux qui, au lieu de pousser de la tête vers l’extérieur, remplissent l’intérieur de l’objet.
À l’extérieur, toutes les têtes d’épingles forment une espèce de carapace, une armure, un casque. J’aime bien exploiter ces rapports bizarres. J’ai souvent joué avec ces deux notions, l’agressivité et la douceur.
Tu avais déjà créé des objets à partir d’éléments de la coiffure et du papier, en juxtaposant le rose et le noir.
Oui, à partir de l’année 2000. Ces objets sculptures ont une dimension érotique qui ne se devine pas immédiatement. Ils sont fabriqués avec du papier peint, rose en général, et sont retenus par des accessoires de coiffure noirs, des pinces, des pinceaux à poudre, qui induisent un caractère féminin.
Quelle est la raison de cet intérêt pour ce type d’éléments ?
Aujourd’hui, je retrouve des images, des gestes que j’ai appris enfant, comme la couture, la broderie, le piquage, des réalisations qui se préparaient longtemps à l’avance à l’école pour la fête des mères. Concernant le papier, mon père travaillait dans une société de machines à dupliquer des documents. Il me donnait régulièrement des ramettes de papier A4 ou A3.
Le lien avec la séduction, ou le paraître, s’établit à partir du choix des objets ?
Le choix de tout ce qui touche aux cheveux, à la tête, perruques, chapeaux, a un lien avec la sensualité, avec l’affirmation de sa personnalité, sa différence. J’ai fait des recherches sur la période du XVIIIe siècle, un modèle pour mon travail. J’ai découvert le côté sexuel des gravures de perruques publiées dans l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert et j’ai eu le désir de retravailler ces images. Je réalise que les cheveux ont énormément d’importance pour le paraître, mais la manière dont je les transforme, ils se métamorphosent en objets érotiques avec une dimension animale.
Le vide est très présent dans tes objets. Dans les perruques, on sent le vide laissé par la forme de la tête, le vide du chapeau est occupé par cette sorte de fourrure. Tu animes le vide qui devient un espace cilié, qui fait penser à un organe sexuel, ou à des oursins, ou à des géodes.
Oui, il y a un peu de tout cela mais avec plusieurs lectures possibles. Moi, je les exploite comme objets ambigus mais ils peuvent se voir autrement.
La multiplicité d’approches les rend très intéressants. Ils évoquent l’érotisme et à la fois se manifeste le côté naturel des formes du vivant. Toutes ces lectures latentes font la richesse de ce travail.
Laisser un espace d’interprétation aux personnes m’enrichit.
Ce côté piquant ou agressif, est-il présent dans tes autres pièces ?
Déjà dans les années 80, je perçais les objets. J‘entassais des feuilles de papier avec des boulons, pour maintenir la forme, le boulon étant perçu comme un élément pénétrant. J’ai fait aussi des bas-reliefs en trompe l’œil représentant des papiers capitonnés, les boutons des capitons étaient remplacés par des boulons. J’exprimais déjà ce caractère dans l’action de percer, de jouer avec la déchirure du papier.
La rencontre de ces deux sentiments donne une ambivalence aux objets. Nous sommes attirés par cette opposition entre ces deux types d’énergie. Comment es-tu passée de l’objet au dessin ?
Les deux dessins réalisés pour l’exposition Cratère sont vus sous deux angles différents. J’ai choisi de les dessiner sur du papier arches aquarelle au feutre argent, pour suggérer la brillance de l’aiguille. Ils sont surdimensionnés par rapport à l’objet.
Le passage de l’objet au dessin est usuel dans ton travail ?
Avec le changement d’échelle, j’ai surdimensionné les dessins des perruques. J’ai agrandi aussi les dessins d’un petit carnet pour une installation au Musée de Nantes en 2011, que j’ai placé sur un socle longiligne. Des vases « mushrooms » remplis d’eau produisant un effet de loupe. Ces vases avaient un coté masculin. Dans une autre série de dessins le carnet est repris comme un objet en soi, aussi surdimensionné.
De quel matériau sont fait ces chapeaux ?
C’est de la paille. Pour Cratère, j’ai coupé les bords en référence à la fameuse jatte en porcelaine, sein moulé, dit-on, sur la poitrine de Marie-Antoinette et posé sur un trépied à têtes de béliers. Service offert par le roi Louis XVI à la reine pour la laiterie du château Rambouillet. Je l’ai vu d’abord à la Manufacture de Sèvres puis j’ai acheté une reproduction dans un grand magasin. Cet objet fascinant a donné lieu à une série de dessins, vidéos, sculptures par exemple. Les petits chapeaux de poupée que j’ai tapissés d’épingles avaient la même taille que ce sein, je les ai posés sur le trépied de la jatte. Dans une autre œuvre, j’ai rempli de lait un préservatif qui déposé dans la jatte reproduisait un sein plus vrai que nature.
Encore une histoire de pleins et de vides… quels sont tes futurs projets ?
En ce moment, je continue mes recherches sur des formes très diverses, Coiffures afro et mes petits carnets moleskine, thème des coquillages et de mollusques transformés. Les projets se croisent, je n’ai pas un travail linéaire. C’est un jeu de va-et-vient où les éléments s’alimentent les uns les autres.