PERRUQUE, s. f. (An méch.) coëffure de tête faite avec des cheveux étrangers, qui imitent & remplacent les cheveux naturels. L’ufage & l’art de faire des perruques est très moderne : ils n’ont pas plus de 120 ans. Avant ce tems, l’on se couvroit la tête avec de grandes calottes, comme les portent encore aujourd’hui les comédiens qui jouent les rôles à manteau, ou ceux qui font les paysans. On y cousoit des cheveux doubles, tout droits ; car on ne favoit pas tresser, & l’on frisoit ces cheveux au fer comme on les frise aujourd’hui sur la tête.
Diderot et d’Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonne des sciences, des arts et des métiers, tome douzième, p. 401
L’article de l’Encyclopédie (1751-1772) publié sous la direction de Diderot et D’Alembert dédié à la perruque expose longuement ces différents styles de coiffures ainsi que leur mode de conception et constitue une précieuse synthèse des connaissances de l’époque sur le sujet. Perruques « à nœud », « à bonnet », « à bourse », « quarrée », « à deux queues », « à cadogan »... autant de coiffures qui y sont décrites avec force détails et précisions. C’est la découverte par hasard en 2008, à la librairie du musée des Arts décoratifs, des planches de l’Encyclopédie consacrées à ces divers modèles de perruques qui a amorcé un nouveau chapitre dans l’œuvre de Ghislaine Portalis.
La toison et la chevelure constituent déjà à l’époque un thème récurrent dans le travail de l’artiste. En 2000, au musée Henri Martin à Gray, Ghislaine Portalis avait conçu un buffet rose dragée et noir composé d’objets érotiques en papier peint maintenus par des accessoires de coiffures (barrettes, pinces, diadèmes, pompons, brosses...) posés sur une nappe en tissu éponge et fourrure poilue.
On retrouve le poil en 2006 dans une série d’œuvres où l’artiste utilise des houppettes scannées et agrandies. Le poil, utilisé sans doute pour la première fois par Meret Oppenheim dans Le Déjeuner en fourrure (1936), est devenu, grâce à ses possibilités de métamorphose, un matériau à part entière de l’art contemporain. Il peut symboliser aussi bien le poil du pinceau. que la sensualité d’une chevelure ou l’ambiguité du féminin et du masculin -on pense là à L.H.O.O.Q (1921) de Marcel Duchamp. Dans une œuvre datée de 2010. Ghislaine Portalis a piqué l’intérieur d’une capeline de centaines d’aiguilles, objet ambivalent, sorte de trompe-l’oeil, qui suggère simultanément la douceur de la fourrure et l’agressivité de la perforation. Cet intérêt pour la coiffure et la parure se retrouve une fois de plus dans ce nouveau travail inspiré par les modèles de perruques trouvés dans l’Encyclopédie. L’artiste remplit d’abord des carnets Moleskine noirs de dessins au crayon ou gaufrés et piqués, de collages et de découpages qui revisitent ces coiffures qu’elle transforme avec des éléments qui lui sont chers : bol sein, houppette poilue, forme végétale, objets aux formes empruntées à l’anatomie qu’elle nomme parfois « trophées ». Les perruques prennent des formes volontiers suggestives où se mêlent la parure et l’érotisme.
Ghislaine Portalis s’intéresse au XVIIIe siècle depuis le début des années 2000. Elle utilise ainsi des gravures représentant des scènes de repas à l’atmosphère libertine qu’elle reproduit sur un Rhodoïd transparent qui vient se superposer à un autre Rhodoïd présentant, en une sorte de moucharabieh, des motifs de lingerie, jouant sur ce qui est montré et sur ce qui est caché et sur les superpositions de matières et d’époques. C’est à nouveau les raffinements du XVIIIe siècle revisité qu’elle convoque à travers l’évocation du célèbre bol sein commandé par Louis XVI pour Marie-Antoinette, à partir duquel elle réalise un ensemble d’œuvres sculptées ou vidéos qui interrogent la question de la féminité mais perçue de manière décalée et souvent avec humour.
À la suite des carnets, elle commence une série d’œuvres de grands formats à partir des perruques découvertes dans l’Encyclopédie qu’elle réalise selon différentes techniques : au feutre rose ou noir, au pastel gras ou à l’aiguille, un outil qu’elle affectionne tout particulièrement. Certains dessins sont travaillés avec un pic-pic, comme une tapisserie, laissant apparaître l’aspect « moutonneux » et bouclé d’une perruque poudrée. Ces œuvres sont réalisées sur papier, sur de la tarlatane ou sur un tissu non tramé qui évoque là encore une chevelure. Elle joue souvent sur des superpositions de différents supports (par exemple une épaisseur de tarlatane sur une feuille de papier). Dès le début des années 1980, le papier constitue son matériau de base (que ce soit du papier à la cuve, du papier gaufré, du papier peint industriel ou du simple papier) et elle aime à en multiplier les épaisseurs. L’aspect surdimensionné de ces perruques contribue à rendre ces formes énigmatiques : éléments hybrides, organiques, érotiques, mâles ou femelles, animales parfois...
Au centre de la Salle Blanche sur un socle étroit d’environ cinq mètres de long. l’artiste a choisi de présenter le point de départ de ce travail : les dessins de perruques, issus d’un carnet, scannés et agrandis. Sur chaque page est posé un vase en forme de champignon en verre rempli d’eau, à travers lequel le visiteur peut regarder les pages du carnet. Objet là encore suggestif et mystérieux, il évoque un accessoire sexuel ou quelque objet de laboratoire dans lequel l’eau permet de jouer sur les proportions et sur les déformations du dessin. Cet élément fonctionne donc comme un outil pour le regard et la vision, invitant le spectateur, à travers chaque orifice, à regarder différemment, à adopter son propre point de vue et à s’approprier les formes qui lui sont offertes.
On retrouve dans ce carnet et dans les grands dessins ce plaisir de percer le papier, de perforer les matières qui parcourt l’ensemble de l’œuvre de Ghislaine Portalis. La délicatesse des formes et des couleurs, la fragilité des matériaux s’opposent à la violence du mode opératoire dans une œuvre qui joue à la fois sur la séduction et le dégoût, la douceur et la perversité, l’érotisme et la violence.