Muriel Rodolosse

vue par

Magali Lesauvage

Aller, venir, se retourner, explorer, s’immiscer : la peinture de Muriel Rodolosse incite le spectateur au déplacement. Mouvement que le médium impose également à l’artiste, qui se positionne au revers du support de Plexiglas transparent, pour peindre de l’avant vers l’arrière, premier plan (détails, figures, objets, formes plus ou moins concrètes) d’abord, second plan (paysages, architectures) ensuite, puis fond. La peintre se place physiquement derrière la peinture, et donc face au spectateur que l’on imagine regardant l’oeuvre.

Mouvement imposé, aussi, au spectateur. Le corps de celui-ci est directement impliqué dans le voir de l’oeuvre. Si toute peinture incite à un voyage de l’oeil, organe du corps avec lequel on la « touche » par espaces intermédiaires interposés, celle de Muriel Rodolosse nécessite également x degrés de déplacement (titre de son exposition au FRAC Aquitaine à Bordeaux, en 2011). Bouleversant volontiers le lieu d’exposition, l’artiste impose au spectateur des contraintes, une gymnastique de l’oeil et du corps. Muriel Rodolosse propose un positionnement inhabituel vis-à-vis des oeuvres, qu’elle peut choisir de placer en hauteur, dans des recoins plus ou moins cachés, en appui instable, ou auxquelles elle peut décider d’attribuer un format monumental – dans son exposition Versteckt just around the corner (Caché juste au coin de la rue), au 18 Rudi-Dutschke Strasse, à Berlin, en 2010, elle alla même jusqu’à cacher des oeuvres.

Souvent en mouvement, dans une attitude de marche qui pourrait hypothétiquement les mener hors de l’oeuvre, les figures peintes par Muriel Rodolosse sont des corps évoluant dans des paysages ou des architectures étherés. Ils effectuent, comme la peinture disposée par couches, une translation de l’arrière vers l’avant qui s’apparente à une révélation. Très présents également dans la peinture de l’artiste, les masques sont les supports métaphoriques de la peinture : toujours dans ce mouvement d’avancement, ils dissimulent en même temps qu’ils montrent, ils imposent leur évidence, se projettent au devant d’une réalité première. Masques animaux ou masques plantes créent des personnages hybrides, ambigus, qui se situent entre divers niveaux de réalité – l’homme et la nature, le féminin et le masculin, le révélé et le caché.

S’étant éloignée de l’abstraction, c’est par le biais de paysages architecturaux que Muriel Rodolosse va vers un certain effacement du motif, sur des fonds blanchis d’une luminosité violente, laiteuse. « Espaces de projection », ces architectures peuvent être associées aux figures, qui portent des structures construites, comme ailleurs elles portent d’innocents agneaux (ou sont portées par elles). Là aussi, il y a hybridation, l’artiste éliminant volontiers les membres inutiles au déplacement. Une économie de moyens qui correspond à sa recherche, toujours en mouvement.

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