Muriel Rodolosse - la peinture manifeste

Anna Maisonneuve, 2017

Muriel Rodolosse n’appartient pas vraiment à cette catégorie de peintres qui envisage l’exposition comme une succession de pièces fixées sur les murs d’un espace. D’ordinaire, ses propositions se pensent comme un tout indéfectible dont les différents éléments présentés fondent les notes d’une partition orchestrée avec précision. « Je prends toujours en compte l’aspect physique du site, sa topographie ou son histoire », indique Muriel. En 2014, à Montélimar par exemple, pour le Centre d’art contemporain du château des Adhémar, celle qui est née à Castelnau-Montratier en 1964 avait imaginé « On the ruins of the Pizzeria ». Nourrie par les échos d’un lieu fait de tommettes rouges aux contours aussi rustiques que singuliers (anciennement un logis seigneurial et une prison), l’exposition se construisait comme une mise en abîme vertigineuse. Inauguré par des volumes blancs – à la fois une déconstruction du white cube et un paysage chaotique – le parcours s’expérimentait comme un étrange récit dystopique nourri par une kyrielle de peintures dont certaines de dimensions monumentales matérialisaient l’invasion d’espaces-temps hybrides.

Une fois n’est pas coutume, pour Eysines, Muriel Rodolosse se prête à l’exercice de l’exposition plus classique. « Ici, ce qui m’intéresse, c’est de voir comment mettre en relation des œuvres anciennes avec d’autres plus actuelles. Comment des choses qui étaient au cœur de mon travail il y a quelques années se retrouvent aujourd’hui mais sous une autre forme ». Tout en faisait fi d’une lecture chronologique, l’invitation dévoile les articulations temporelles d’un langage que la peintre a construit au fil du temps.

« J’ai commencé la peinture en peignant sur bois. La toile, je n’ai jamais pu. J’avais l’impression d’être face à quelque chose qui me submergeait. Physiquement, la matière ne me plaisait pas et historiquement c’était intimidant de s’inscrire dans cette histoire de la peinture. J’ai préféré le bois, un support que je trouvais plus neutre. Au départ, j’avais une approche très matiériste. Je le brûlais, l’attaquais, le gravais, lui ajoutais des empâtements, des épaisseurs,… Il y avait des possibilités infinies. J’avais choisi de ne jamais signer avec mon nom mais avec un signe de peinture. Cette signature pouvait venir perturber ce qu’il y avait, amener une autre lecture... Par exemple, j’avais réalisé une accumulation de pommes et ma signature c’était le fait de tracer un ovale qui entourait certains fruits. D’un coup, on passait de l’accumulation à la nature morte. »La démarche picturale de Muriel Rodolosse prend un tournant décisif à l’occasion d’un séjour Outre-Atlantique. Nous sommes le 4 février 1996. La jeune femme s’envole pour les Etats-Unis, direction Chicago et le programme de résidences pour artistes européens de la Fondation John David Mooney. Le thermomètre affiche -30 degrés. Au numéro 114 de Kinzie Street s’élève un imposant bâtiment de briques rouge sur quatre étages. « C’est là que je travaillais. Pendant un court temps, j’ai continué ce que je faisais en France. Un jour, alors que j’allais chercher du matériel, je suis tombée sur des boîtes en Plexiglas thermoformées… de très beaux objets tout en transparence qui ressemblaient à des cadres pour présenter des photos. Je n’en avais jamais vu avant. Ce sur quoi je travaillais à l’époque – et c’est là où finalement tout fait sens – c’était à l’opposition entre frontalité et profondeur. A travers la surface, j’essayais de passer à travers le tableau. Il y avait une affirmation de la frontalité mais la signature venait ouvrir une porte vers un ailleurs. J’ai alors commencé à incruster ces boîtes dans le bois. » Suivra, une autre résidence au Lakeside Studio, au bord du lac Michigan où le bois sera définitivement abandonné. Depuis, Muriel Rodolosse ne peint plus qu’au revers du support de Plexiglas transparent inventant ainsi le vocabulaire d’un langage pictural qui lui est propre, fait de déplacements, de projections mentales et d’invitations à l’épreuve de l’altérité.

Texte écrit dans le cadre de l’exposition personnelle de Muriel Rodolosse au Centre d’art contemporain Château Lescombes à Eysines et publié en avril 2017 dans Junkpage.

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