ON THE RUINS OF THE PIZZERIA

Hélène Lallier, 2014

C’est avec Muriel Rodolosse, peintre, et une proposition spécifique pour le lieu que le centre d’art contemporain du château des Adhémar ouvre la saison 2014.

Ainsi On the ruins of the pizzeria est une exposition composée de tableaux et de dessins inédits, d’oeuvres requestionnées, au sein de laquelle l’artiste convie à s’immerger totalement. Pour cela, elle requiert notre implication spatiale et temporelle pour nous faire entrer littéralement dans un parcours dystopique, jalonné de volumes.

Plaçant la question du déplacement au coeur de sa pratique et par le choix d’un support précis - peinture sous Plexiglas - et le renversement du geste pictural et de l’image qu’il compose, elle initie un rapprochement entre l’artiste et le regardeur. Elle propose de penser l’exposition comme un médium qui interroge l’accrochage, le point de vue, la mobilité du regardeur dans un rapport à la narration.

« Je pars toujours de l’analyse des espaces afin d’y inscrire une exposition qui interpelle le lieu mais aussi le déplacement des regardeurs. » (MR, janvier 2014)

Orchestrées au sein de quatre espaces, les oeuvres résonnent avec l’histoire du château, ancien logis seigneurial devenu prison, en adéquation avec le fil blanc voulu par l’artiste : partir de la figure du parc, topographie de l’enfermement. En s’inspirant du roman de Bruce Bégout Le ParK, qui décrit une société imaginaire organisée hors d’accès possible au bonheur, elle invente des paysages aux architectures inquiétantes, ouvre des espaces d’enclavement humains dans lesquels se déplacent des personnages froidement anonymes.

« Ainsi le concepteur du ParK a t-il rassemblé en un seul parc toutes ses formes possibles. Le ParK associe une réserve animale à un parc d’attractions, un camp de concentration à une technopole, une foire aux plaisirs à un cantonnement de réfugiés, un cimetière à un Kindergarten, un jardin zoologique à une maison de retraite, un arboretum à une prison. Il les combine, joint tel caractère à tel autre, mélange les genres, confond les bâtiments, agrège les populations, intervertit les rôles. »

Ainsi le parcours débute au rez-de-chaussée : le visiteur découvre un grand tableau A view of the ParK in front of Podgaric dans lequel elle sonde, s’immisce, explore les lieux, comme exemple « le cabinet des utopies perdues » ou « la neuro-architecture »...

Il se poursuit au premier étage. Une peinture monumentale, On the ruins of the Pizzeria, composée de quinze parties, couvre la totalité du mur du fond. Muriel Rodolosse est partie de l’idée fictionnelle qu’un curateur aurait décidé de prendre un champ de ruines comme lieu d’investigation. Ce tableau-exposition ouvre l’espace sur une exposition fictive, un lieu dans un lieu, un espace dans un espace, une peinture dans une peinture.

Dans la loggia, Geoclouds est une installation de quatre tableaux recto-verso, suspendus, qui bouchent l’espace tout en l’ouvrant sur une surréalité.

En redescendant dans la grande salle du logis seigneurial, le titre générique On the ruins of the Pizzeria se dévoile sur la fin de la pérégrination et seize tableaux blancs et noirs se regroupent sur une cimaise formant un corner. Agglutinés, et mis en tension avec le titre, ils préfigurent une vision du ParK. Renvoyant à des références historiques, à une dimension totalitaire, tel cet arc de triomphe de style fasciste, inauguré en 1937 par Mussolini et détruit après la prise du pouvoir par le colonel Kadhafi en 1969, ces tableaux font l’objet, par l’artiste, d’une ré-appropriation et font figure de documents argumentant les attractions du ParK. Ainsi, avec Le jeu des petits soldats du peloton d’éxécution, Muriel Rodolosse invente un jeu où les figurants se prêtent à un simulacre d’éxécution.

La chapelle Saint-Pierre accueille l’ultime installation : six grands dessins descendent le long des murs et s’enroulent sur le sol. Ils s’inscrivent dans le parcours comme une finalité pleinement matérialisée par le titre générique Il y aura une fin, annonce qui peut laisser présager que tout un chacun peut élire sa condition.

A travers cette exposition, Muriel Rodolosse nous dévoile un ensemble important d’oeuvres qui sont autant d’axes de développement inscrits dans sa pratique. Confronté à des logiques de spacialité, et de spatialisation, son travail se nourrit d’écrits, de littérature, et d’histoires réelles qui cultivent le terrain de questionnements afférents à cette discipline qu’est la peinture aujourd’hui.

Hélène Lallier, commissaire de l’exposition On the ruins of the Pizzeria, Centre d’art contemporain, Château des Adhémar, Montélimar

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