Yves Chaudouët

vu par

Jean-Marc Huitorel

Une introduction

L’œuvre d’Yves Chaudouët est à l’image du monde dont elle procède : diverse, complexe, lisible, indéchiffrable, sombre, jubilatoire. Par ailleurs très attentive à ce qui la constitue, à l’esprit qui l’anime. Quiconque l’aborde se trouve rapidement confronté à la question des entrées. On peut alors tenter un premier classement, une souple mise en ordre, et pourquoi pas soumettre cette vivifiante profusion à une sorte de taxinomie formelle, fondée par exemple sur de larges catégories de médiums :
- les peintures : les portraits à l’huile, les monotypes, les gravures... les photographies…).
- les installations (un terme bien commode…) : poissons des grandes profondeurs et autres créatures marines réalisées au Centre international d’art verrier (CIAV) de Meisenthal, pieds de verre destinés à faire léviter les objets, sa « table d’hôtes » (sur une proposition de Pierre-Olivier Arnaud et Stéphane Le Mercier)…
- le théâtre et les films, c’est-à-dire des formes où dominent soit la performance soit le récit, soit les deux : conférences concertantes, visites guidées…
- les éditions : on en dénombre plus d’une vingtaine à ce jour. La passion de l’artiste pour la littérature, la poésie en particulier, trouve à se matérialiser ici dans la forme canonique du livre.

Il convient cependant, si l’on veut trouver le fil et le tenir, pointer ce qui relie les éléments multiples de ce grouillant univers, de croiser cette première nomenclature avec d’autres grilles de lecture. Insister par exemple sur la récurrence de la peinture depuis les premiers portraits à peine extirpés de leur gangue ombreuse jusqu’aux « peintures bavardes » où s’affirme le dessin porteur de clarté (une sorte de ligne claire comme on dit pour la bande dessinée) et de joyeuse impertinence, d’autres portraits à nouveau, plus graves, synthèse mûrie de la profondeur et de l’affleurement. Rappeler aussi que depuis l’âge de dix-sept ans, et longtemps sans savoir que ça s’appelait ainsi, Yves Chaudouët produit des monotypes. Il parle à leur sujet de « photographies mentales ». Tous proviennent d’une identique et minuscule plaque de zinc, 6 x 9cm et témoignent d’une prodigieuse virtuosité. Il s’agit là d’une véritable base de données, à la fois trace et réservoir de formes et d’atmosphères, d’histoires et de références.

C’est peut-être sur la dialectique de l’ombre et de la lumière, de l’obscur et du clair que s’enracine la cohérence de cette œuvre voyageuse. Ce sont le noir et les visions nocturnes qui dominent dans les monotypes, visions hantées, sommeils de la raison, sourde menace. C’est un regard précis et très lucide, qui garde en mémoire les rêves et les cauchemars de l’histoire (la figure tutélaire de Paul Celan). C’est un point de vue sur le monde, résolument politique, praxis autant que poïésis, y compris dans la rêverie telle que la déclenchent les poissons abyssaux. Mais c’est, dans le même temps –sans doute l’autre versant d’une identique visée- et avec de plus en plus d’insistance, un combat sinon pour la clarté du moins pour l’éclaircissement, l’ombre concentrée dans la pupille des yeux de ses beaux portraits récents où le songe gagne peu à peu sur le tourment. Ce mouvement du bas vers le haut, cette informe perturbation de l’ordonnance trompeuse, toute rechute possible, traverse l’œuvre d’Yves Chaudouët dans son entier, y compris dans ses occurrences scéniques, des poissons des grandes profondeurs (dans leur nuit de cristal, littéralement et en toute conscience de l’histoire) jusqu’à ces objets tout juste surélevés par leurs pieds de verre, comme flottants, décollés de ce ras des pâquerettes où gisent le dangereux et le dénonçable, toutes choses entrevues, arrachées, déplacées, élaborées par les moyens spécifiques de l’art.

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