Qu’avons-nous ici ? Y a-t-il quelque chose à voir ? Des nouveautés ? Pas cette fois-ci. Tout au contraire, Yves Chaudouët semble avoir préféré soulever le même. Qu’est-ce à dire ? Il semble s’agir de soulever le même à un plan supérieur ; de soulever la question et sans doute les enjeux du même, mais avant tout de soulever - littéralement, physiquement et pourtant imperceptiblement - le même en tant que tel. Comment s’y est-il pris ? Par une intervention, comme on dit dans le monde de l’art ; mais une intervention si infime qu’elle est à toutes fins utiles invisible, dépourvue de tout vestige de « créativité » ou d’« expressivité ». Tout ce qui se trouvait déjà dans la galerie - le socle minimaliste, la vitrine épurée - y est encore ; tout ce qui s’y trouve y était déjà, et pourtant tout se voit légèrement soulevé, par une sorte de logique de synthèse hégélienne qui hausse la perception à un plan supérieur sans annuler les composants contradictoires. L’effet n’est pas (seulement) conceptuel, mais élégamment réel. Chaudouët a fait faire, par des maîtres-verriers, une série de pieds de verres à boire, mais sans buvant ; de petits pieds robustes, conçus pour pouvoir soutenir tout le poids des objets que l’artiste y dépose ; ou plus précisément, sous lesquels il glisse discrètement les pieds. L’effet de lévitation produit par la rencontre entre deux dispositifs esthétiques disparates - pieds de verre, meubles minimalistes - soulève (à mes yeux) la question de la transformation ontologique absolument inouïe qu’a subi l’art ces derniers temps, en vertu de laquelle quelque chose peut être à la fois ce qu’elle est - même objet, même action - et une proposition artistique de cette chose. L’intervention de Chaudouët produit cet effet en évitant le maniérisme de l’inaction ostentatoire et sans encombrer davantage le monde d’objets d’art. La galerie devient, irréversiblement peut-être, en tout cas inséparablement, ce qu’elle est et une proposition d’elle-même. Une augmentation minimale au sein du même.
Communiqué de presse de l’exposition Séparés, on est ensemble (cristallisation), 6 avril - 7 mai 2011, Christophe Daviet-Thery Gallery, Paris