Un regard posé sur l’infime

Doris Berger, 1999

Par la conception de Détails/Suspens/Témoins, Yves Chaudouët souligne toute la variété des détails du monde tel que nous le percevons. Ces petites choses mises en évidence, il ne faut cependant pas toujours les appréhender matérialisées, elles peuvent aussi être des fragments d’images et de moments. Yves Chaudouët, en nous démontrant que les petits détails quotidiens recèlent davantage de force que nous n’en avons conscience, donne une tournure positive à l’expression « faire une montagne de quelque chose ». Sans qu’il n’en résulte pour autant une vision partielle représentative de l’ensemble. Le détail ne fait pas office d’ersatz pour un tout, il existe à sa manière propre et peut provoquer des images particulières.

Les Témoins, nous les trouvons dans notre environnement technologique quotidien, sur les fax et les chaînes stéréo par exemple. Mais nous les percevons exclusivement dans leur fonction, comme une montre indique l’heure. Le regard attentif d’Yves Chaudouët capte ces petites lumières qui nous entourent constamment, il les isole de leur contexte dans ses polaroïds en supprimant leur rapport d’échelle à d’autres objets. Ne restent que les lueurs dans le noir qui, séparées de leurs appareils-supports, deviennent une présence étrange et inquiétante. Chacun pourrait y voir des soucoupes volantes ou se rappeler certains films de science-fiction. Étant donné que notre monde visible est constitué d’objets avec lesquels nous entretenons les rapports permanents les plus divers, le fait de supprimer le contexte fonctionnel nous déstabilise. Ce vacillement se surmonte grâce à l’inscription des choses dans un contexte d’images familières, comme cet exemple de film de science-fiction. C’est ainsi que les lumières remplissant une fonction acquièrent une nouvelle signification et peuvent devenir porteuses d’histoires dans un monde fictif.

Yves Chaudouët attire notre attention sur la vie propre des fragments constituant un objet ou une image. Les surréalistes usaient eux aussi de ce procédé. La prise en considération de choses insignifiantes dans l’acception traditionnelle fut certes élargie par la perception des artistes surréalistes, mais elle orientait en même temps la « lecture » du public. Yves Chaudouët fractionne l’unité de la chose et propose aux détails un univers propre. Ce n’est pas lui qui dirige la nouvelle « signification », comme autrefois les surréalistes, c’est au public d’interpréter les détails.

Les monotypes naissent d’expériences vécues ou observées, émergeant au hasard des souvenirs de l’artiste. Les images obéissent à ses choix de composition, mais elles n’ont pas de référant univoque. Elles rappellent des scènes qui pourraient sortir de tel film, ou des éléments de tel décor de théâtre. Elles laissent toujours un espace suffisamment ouvert pour les associations les plus diverses. Dans Détails, Yves Chaudouët ne montre que des parcelles de monotypes. Leurs dimensions et leurs contextes, leur contenu n’en sont que plus mystérieux. Le public est invité à fouiller dans son propre trésor d’images et à compléter individuellement les supports proposés. Le détail, ici, sert de déclencheur pour l’élaboration d’une image.

S’inspirant librement de la phrase de Flaubert, le bon Dieu est dans le détail, Yves Chaudouët confère une force d’attraction magique à l’infime, en lui donnant une importance nouvelle.

Les Suspens provoquent eux aussi des moments d’interrogation. Une table qui de prime abord n’a rien de bien remarquable, frappe par un détail lorsqu’on y regarde de plus près : ses pieds ne touchent pas le sol, elle a l’air de flotter dans l’air. Les épingles qui la supportent ne sont pas visibles sur la photo. Les lois de la pesanteur semblent ainsi déniées. La falaise d’Étretat, motif des peintres modernes classiques et recréée par Yves Chaudouët en pâte à modeler, n’est pas davantage soumise aux lois de la physique quand, extraite de son environnement naturel, elle dissimule sa véritable taille dans le paysage. Ici, l’artiste réintroduit le sujet d’un tableau connu dans la tridimensionnalité. Il isole la falaise de son environnement légendaire et le transforme en une maquette de quelques centimètres seulement qui acquiert, grâce à la photographie, une vie propre.

Préface du livre Suspens/Détails/Témoins

Traduction du texte en français par Henri Christophe

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