D’abord, il y a une histoire. Une histoire d’enfants. C’est l’été, ils franchissent la grille de l’école ; ils veulent profiter de la cour de récréation, des quelques jeux qui y sont disposés. Ils font, en quelque sorte, le mur, ou plutôt, la grille, à contresens. Ils aimeraient que cet espace soit ouvert, dépourvus d’entraves, d’enceintes. Alors, ils s’en remettent à des mots, aux mots de l’école, ils écrivent une lettre, la déposent à la mairie, pour exprimer ce désir. Ils ont soif d’un autre monde, d’autres possibles. Ils veulent une suite, une réponse.
Elle sera confiée à un artiste, Yves Chaudouët, par le commissaire artistique de la Forêt d’art contemporain, Jean-François Dumont. « Un artiste peut-il accepter la dimension utilitaire d’une commande artistique ? » s’inquiète-t-il. « En général, j’essaie de ne pas participer à celles des activités culturelles dont le contenu réel est purement organisationnel et le contenu symbolique purement sentimental. Ce que je fabrique se doit a contrario d’être fondamentalement superflu et en prise avec la poéticité du monde » écrit Yves Chaudouët. Il donnera donc suite ; la genèse de la commande est si poétique. D’autant que la lettre a été perdue, qu’il s’agira, au bout du compte, de la réécrire. Il organise « une délibération artistique ». Il écoute, prend le temps de la parole, de l’échange. Il ne saurait être le dépositaire exclusif de la commande. Elle se nourrira de cette parole. Mais c’est lui, et lui seul, qui en sera l’auteur. Une confrontation heureuse, intègre, juste. Il pressent très vite que l’effacement sera la clé. Que cette présence d’art n’aura de sens que si elle permet à la vie de battre, que si les uns et les autres peuvent se mêler. Il n’entend pas se limiter à ce qui fut alors délimité. C’est un village, un petit village, Pompéjac. Il élargit le périmètre initial, la surface originelle. Un airial. Il y a des arbres, une salle des fêtes, une église, une mairie, une école. Il y a aussi des chants d’oiseaux. Et la promesse du chant de la pluie. Je pense à Pavese : « A l’aube, chaque arbre serait une vie prodigieuse et les nuages auraient un sens. »
Il répond par une ponctuation douce, une épure. Il disposera sa présence, ça et là, sur sept points précis. Une géométrie qui n’a rien d’arbitraire. Un point de vue. Un poème en céramique, acier, sur la page du sol. Une ombelle. Le chemin des ombelles. Un corymbe. On ne pourra en lire les correspondances, l’inflorescence que depuis le ciel. « Un tremplin vers les étoiles ». Une ronde, une enfance. Sept modules. Une table à enfants, une entrée magique, une musique de table, une conversation, un moulin à paroles, Daedalus et La plouf. Un art poétique. Sept modules géométriques pour jouer, commercer, observer. Sept propositions relevant d’une même géographie sensible. Un scénario, un plan, un montage. Pas de centre, l’invention d’un centre fait de tous les centres. Un tableau. Un septain. L’art ne sépare pas ; il peut être la condition d’un commun sans cesse inventé : « accueillir au mieux les manifestations du hasard mais aussi de l’altérité ». L’œuvre d’Yves Chaudouët est tournée vers l’autre. C’est un travail de l’attention. Depuis ses monotypes, ses portraits jusqu’à ses films, ses installations. « Je ne vois pas de différence de principe entre une poignée de main et un poème » écrivait Celan, poète cher entre tous à Yves Chaudouët. Chacune de ses interventions se noue autour d’une seule et même trame. Il n’y a pas de lignes de démarcation. C’est un tout. La tentation de l’ouvert est au cœur de son travail. Il n’aime pas Hölderlin pour rien. Je crois qu’il y a dans cette tentation une nostalgie. Et le désir d’être du bond, de ne pas se résigner, de croire, de croître. Me viennent ces mots de Léonard de Vinci :
« Les obstacles ne peuvent me ployer.
Tout obstacle cède à l’effort.
Ne pas quitter le sillon.
Qui règle sa course sur une étoile ne change pas. »
Pour Yves Chaudouët, la matière, quelle qu’elle soit, coud un peu plus le monde, révèle, par l’acte artistique, « la poéticité du monde ». Saisissez-vous du monde nous intime-t-il. Ce que je mets à votre disposition n’est rien d’autre que ce que je vois, que nous ne voyons pas, que nous ne voulons pas voir, et qui est, là, à portée du regard.
Texte extrait du dossier de presse de la commande publique Ronde des Ombelles réalisée par l’artiste Yves Chaudouët avec La forêt d’art contemporain, 2019.