Derrière les portes vitrées de la galerie ACDC, une sculpture étrange nous interpelle. Au moment où l’on pénètre dans l’espace d’exposition, l’œuvre « Intersection avec le modèle » de Pierre Labat se révèle, s’impose sous nos yeux de part sa monumentalité. Elle créée de ce fait un trouble. Que regarde-t-on ? Une œuvre d’art ? Le lieu dans lequel elle se trouve ? Pierre Labat nous donne à voir l’espace de la galerie dans un premier temps. Il s’agit d’une mise en abîme, c’est parce que l’œuvre tient les angles de la pièce et les suggèrent que l’exposition prend vie. Œuvre qui est en perpétuelle évolution qui se constitue en fonction du lieu en gardant en son cœur un cercle qui varie selon la grandeur de la pièce. L’œuvre bouleverse le lieu mais créée des affinités avec ce dernier, en effet, l’œuvre se veut en interaction avec les spécificités de la galerie. Se jouant des éléments physiques (mur blanc, hauteur de plafond, largeur de la salle), Pierre Labat propose une pièce qui défie les lois de l’attraction. Légèreté, suspension, poids deviennent les maitres mots de ce travail.
Œuvre interchangeable, plurielle, elle se veut en relation avec le lieu qui se magnifie. Il s’agit alors d’une fausse œuvre in situ car elle évolue en fonction du lieu dans lequel elle se trouve. Elle se présente telle une succession de planches de bois, de couleur brute, se tenant les unes par les autres par un système de captation d’équilibre sans fixations externes à l’œuvre. L’œuvre se tient magistralement devant le visiteur, en offrant de ce fait un regard neuf sur le lieu de « monstration » de la sculpture.
Il s’agit d’une œuvre qui invite le spectateur à se projeter ou du moins à projeter son corps, à l’impliquer dans le processus de création. Chacun doit trouver sa place, sa posture, et créer de ce fait sa propre vision de l’œuvre et de son contexte environnant. C’est dans cette logique que le trouble, s’installe notamment via cette nouvelle conception de prendre en compte l’espace, une exploration quelque peu conceptuelle et minimale sans valorisation interne ou externe du lieu, de l’espace, ni de l’œuvre. Ce trouble se vit, se ressent autant visuellement que physiquement. Les deux univers sont soumis aux mêmes règles, aux mêmes lois et leur confrontation nous mène dans un milieu parallèle, régie par des forces invisibles qui jouent avec l’œuvre et son architecture, interagissent, en d’autres termes celui d’un espace ouvert sur le monde, une esthétique certaine, originale, inédite, unique.
Tout semble ne tenir qu’à un fil, tout est question d’équilibre. Le visiteur est dans l’attente imminente d’une hypothétique chute. Mais à l’instant T même de sa chute, l’œuvre n’a plus lieu d’être, elle est plus en possession de son essence, de son dessein, voire même de son aura.
L’œuvre est comme suspendue, le visiteur se protège, oscille sa tête de bas en haut, il est conscient d’être dans un espace en tension mais pourtant il reste, il est comme hypnotisé par « la majestueuse ». Pierre Labat dresse des ponts, des passerelles entre des objets usuels (difficilement identifiable de prime abord), de la vie quotidienne (les planches de bois qui sont utilisées dans la construction de charpentes) et un univers esthétique. L’artiste joue avec les dimensions, les outils et supports utilisés.
Tout se passe par et dans un geste sculptural simple et pragmatique. L’artiste crée un nouveau concept, on ne peut le qualifier de « minimal » et Marianne Derrien le qualifie ainsi : « Le déploiement de ses œuvres dans l’espace tente de toucher du doigt un nouveau « suprématisme », celui du blanc, de la forme dans l’espace. Travaillant constamment la troisième dimension, les œuvres de Pierre Labat s’immiscent pourtant dans une possible réflexion du plan pictural, de son histoire et de sa mystique. ».
Les échanges sont la matière constitutive de l’œuvre de Pierre Labat. Échanges avec le lieu, l’œuvre et le visiteur. Le geste, l’idée, le concept est d’autant plus essentiel que l’esthétisme final, que le rendu physique. L’œuvre de Pierre Labat se joue des comportements habituels éprouvés par le visiteur devant une œuvre d’art contemporaine, si tenté qu’il y ait des habitus spécifiques. L’œuvre n’existe que par l’activation du lieu et par l’interactivité émise par le visiteur. Le visiteur fait partie de l’œuvre, il est actif, il l’expérimente, « lieu où la stature humaine doit constamment s’éprouver, nous regarder, nous inquiéter » (Georges Didi-Huberman, « Ce que nous voyons, ce qui nous regarde », Paris, Les Éditions de Minuit, 1995). L’horizontalité se mêle à la verticalité, nos sens sont bouleversés, ils dérivent. Le lieu devient un espace d’expérimentation, un laboratoire d’idée en fusion où les différents plans sont mis en exergue.
Pierre Labat introduit des dimensions diverses et variées, mais celle du temps de l’expérience en est la plus fondamentale. La notion d’expérience s’apparente à un événement vécu, plus qu’une sensation, l’exposition créée une situation spatiale particulière qui nous déstabilise. Mais tellement fascinante !
Consulter la documentation de l’œuvre Intersection avec le modèle, 2010