Entretien réalisé dans le cadre de l’exposition 9 novembre, à la Galerie Snap Projects (Lyon)
Wemdy Tran Vao Glosecea : Dans les expositions récentes, je pense à Mute, qui a eu lieu à Interface à Dijon, en juin. Il y avait une réelle présence de l’équilibre dans les pièces. Est- ce le cas ici ?
Pierre Labat : Il y a de l’équilibre dans les trois groupes d’œuvres, entre eux. Si on s’approche des tiges d’acier, on se rend compte qu’elles tiennent contraintes, entre des épingles, puis pour certaines, posées l’une sur l’autre, très précisément. Le sel aussi, on pourrait dire qu’il est contraint, en équilibre chaque grain sur l’autre, enfermé dans ses limites orthonormées. Les images des mains c’est différent. Encore que, en reprenant la symétrie des figures dans les jeux de cartes, il y a aussi un équilibre ; mais visuel.
D’une exposition à l’autre, d’un travail à l’autre, il n’y a finalement qu’un léger changement ; de direction, de matériau, de position. Mais entre Space Between, de 2006, et le tapis de sel, il n’y a pas de grande différence : il s’agit d’espaces blancs, habités par une césure.
W.T.V.G : Cette année, à l’École Supérieure d’Art des Pyrénées où tu enseignes, je t’ai entendu demander à un élève : « Parles nous d’abord de la forme, de la couleur, de la matière. » Puis-je te retourner cette question ?
P.L. : Ma question me rappelle un sigle qui serait présent dans l’armée, concernant le camouflage : fomec+b. Il s’agit pour bien se camoufler de faire attention aux Forme, Ombre, Mouvement, Éclat, Couleur et le Bruit. Ma question à l’école sonne bien militaire ! Ici, à Snap, les formes sont simples et complémentaires : des lignes et des plans. Des droites et des courbes. La couleur est, comme toujours dans mon travail, celle, première, du matériau. Sombre, presque noir pour l’acier, blanc pour le sel. Évidemment chacune contraste avec le plan qui l’accueille : le blanc du mur, le gris du sol. Ces matériaux sont presque unis dans leur couleur quand on les aperçoit. Quand on se rapproche, ils (re)deviennent juste ce qu’ils sont. Puis on s’éloigne pour les regarder à nouveau {note}1.
Ces matériaux sont les nôtres : du papier, du sel, de l’acier. Je me rends compte en le disant qu’ils sont ceux qu’utilisait Jean Pierre Bertrand, un artiste que j’affectionne beaucoup. Ce sont des matériaux qui ont une certaine instabilité dans le temps, ce que j’aime.
W.T.V.G : Comment conçois-tu une exposition personnelle, comme ici à Snap Projects ?
P.L. : Il y a toujours un objet et une forme premiers, d’où tout le reste découle ou rebondit. Tout doit se compléter, se répondre, résonner.
Je ne sais pas si cela est visible. En tout cas c’est ma façon de fonctionner. Ici, il y a eu une première courbe en métal, au mur de l’atelier. Puis j’ai étudié comment les combiner, à quoi faire appel (des motifs fortement inspirés de la nature, anthropomorphiques, …)
Comment « mesurer » l’espace de la galerie en le ponctuant. De ces murs, j’ai pensé qu’il fallait contrebalancer, par une présence au sol, lourde, plate et droite. En faisant toutes ces recherches, je me suis rendu compte que le plus loin que je pouvais travailler est le bout de mon bras. Les images des mains ont été faites du plus loin que je pouvais, entre le déclencheur de l’appareil et mon autre main. C’est dans cet espace que beaucoup de choses se passent.
Une exposition, c’est avant tout une rencontre entre des objets, un artiste et un lieu, une équipe. Je ne pense pas que j’aurais pensé une œuvre comme celle avec le sel si ce n’était pas le lieu de Paul Raguenes. C’est aussi et avant tout un espace vu dans un temps. Donc je pense que c’est un seul et unique travail (au sens d’œuvre), une exposition.
1Pierre Labat évoque ici une définition personnelle de l’œuvre d’art ; l’œuvre comme objet qui se rapproche d’autres objets ou phénomènes, tout en s’en éloignant fortement dans un même mouvement immobile.