Pierre Labat élabore ces sculptures à partir d’une recherche pointue sur la composition géométrique, au travers de laquelle la charge symbolique et la dimension expressive de la forme prédominent. L’intensité de la forme et « l’organisation énergétique du matériau {note}1 » définissent un rapport entre des forces statiques et dynamiques. Combinaisons pertinentes tenant parfois de l’alchimie, les sculptures Pinball Cyclo et Intersection avec le modèle demandent de se placer en leur cœur. Constructions puissantes et sobres, elles instaurent une démarche cognitive : la relation à elle-même et la relation au lieu.
Questionnant notre capacité à savoir où sont les choses et quelles sont leur distance entre elles, ces deux sculptures sont un éloge de l’expérience pour elle-même et jouent avec différents niveaux d’appréhension, à la fois, épicentre, matrice, traversée, passage.
La question de la trajectoire est toujours mise à l’épreuve. La référence au film Solaris d’Andrej Tarkovski se veut possible dans la mesure de cette réflexion et de cette quête du pouvoir de l’esprit et de ses limites.
Le trouble advient, dans ce huis clos spatial, lorsque trois chercheurs en mission sur la planète Solaris ne donnent plus de nouvelles à la communauté scientifique qui les a missionnés. Le programme de recherche sur lequel ils travaillent, nommé la « solaristique » (science qui étudie l’océan de la planète Solaris, étant fait de formes d’une intelligence supérieure) n’aboutira peut être pas tant que la venue de Kris Kelvin, psychologue, n’aura pas déterminé un peu mieux la cause de ce silence. Tout est concentré dans ce rapport d’un monde dans lequel, malgré la proximité des choses, le réel reste impénétrable, à un monde sulfureux et idéel, celui sur Solaris. Pinball Cyclo et Intersection avec le modèle contiennent, en elles, ce double mouvement, cette double potentialité. Prises dans un processus cyclique et sensitif, ces deux sculptures font naître le mystère non pas d’une absence d’indications ou de repères mais au contraire malgré une abondance d’informations sur notre rapport au temps et à l’espace. Permutant des données scientifiques et technologiques, Pierre Labat rapproche la sculpture du phénomène naturel et définit un nouveau seuil de franchissement de l’espace.Jouant avec le plein et le vide, l’engloutissement et l’éclosion, il articule l’espace avec des situations extra-temporelles, questionnant les mécanismes du comportement humain.
Pinball Cyclo est un large volume de couleur blanche avec trois portes, symétrie en son centre. Matrice et piège à la fois, cette sculpture désoriente le regard qui bute sur les murs concaves. Rétrécissement de l’espace ou ouverture sur un nouvel espace, cette sculpture ne se réduit plus à l’environnement proche et à ses seules connaissances. Le visiteur, une fois entré dans la structure, n’a le choix qu’entre deux directions possibles. Il est alors dans l’obligation d’exécuter le même parcours dans l’un ou l’autre cas. Dans cet encerclement, la sculpture dévoile des parties qui se cachent d’elle-même.
Au delà d’être une des fonctions d’un logiciel de mise en application de la troisième dimension, Intersection avec le modèle est une forme à la rencontre d’autres formes. Œuvre de la déambulation et de la circulation, les planches de bois sont toutes placées de manière à ce que le spectateur puisse les contourner aisément, celles-ci ne pouvant ployer sous leur poids. La sculpture devient l’ossature du lieu révélant les espaces pleins et vides. L’œuvre se cerne dans une complexité visuelle croissante dès l’entrée de la structure. Elle invite le spectateur à en scruter les angles ainsi que les points de vue multiples que ceux-ci engendrent. Conçue avant puis trouvant sa place dans le lieu, la sculpture se constitue d’un ensemble de plans, de courbes et de points qui sont travaillés en forme de spirale ou de vortex. Approchant la sculpture du phénomène naturel, l’étayage de l’espace suscite une troublante sensation de rotation.
De la forme arrondie et encerclée de Pinball Cyclo à la verticalité tendue des planches de bois d’Intersection avec le modèle, ces sculptures sont une mise en forme de l’espace par des oppositions. Limites et contres- limites, l’intensité et la dimension expressive des formes engendrent des fictions potentielles.
Défiant le lieu d’exposition, elles deviennent des espaces (comporte)mentaux à la fois passage, lieu de transit et de recueillement. Œuvres de la déambulation et de la circulation, ces deux sculptures sont des « prises de force », des assises de l’espace environnant.
Elles concrétisent leur avènement au travers de ces résistances physiques et sensitives.
Extrait du catalogue monographique Pierre Labat - Grayscale, éd. GalerieAcdc et Atelier Bilto Ortega, mais 2012.
ISBN 978-2-746642-72-0
1Kasimir Malévitch, Ecrits, édition Champ Libre, 1975. p. 221.