« Merci de bien vouloir » (entretien)

Didier Arnaudet, 2024

 

Qu’implique pour vous l’acte de peindre ?

Je peins des moments de ma vie, que je documente par des photos. Mais pour devenir une peinture, ces photographies passent par pas mal d’étapes.
Tout d’abord, il faut que la photo soit bien composée, que j’arrive à lire un dialogue entre les deux ou trois éléments qui la composent et les questions que cette confrontation apporte.
Le ton doit toujours être sur le fil, entre le tragique et le comique, le pathétique et le gai. Entre la photographie et la peinture il y a la retouche photo qui me permet d’extraire tous les éléments qui complexifient trop le propos. Il faut évidement que la peinture apporte quelque chose que je n’arrive pas faire en photographie, souvent, la peinture sert à mettre en valeur la critique présente dans la scène, et permet une ouverture vers un ailleurs plus lyrique. La peinture vient à la fois comme outil de séduction et de répulsion, je joue avec le beau et le moche, la fluidité de l’huile et la raideur de l’acrylique.

 

Quelles influences revendiquez-vous ?

En peinture je suis passionnée par à peu-près tout, j’arrive à voir des qualités dans tous les mouvements, c’est aussi pour ça que je me sers de l’histoire de l’art pour traiter mes sujets.
Parfois je vais utiliser une touche naïve, parfois plutôt réaliste, puis un peu de kitch...
Je suis aussi très influencée par l’esthétique et les outils numériques, les outils de la communication, de la publicité, le nudge me fascine aussi. J’aime donc que l’on sente dans mes peintures la trace d’une retouche numérique.
Ressentir et voir des traces de calques, des découpages, ou des remplissages.
Et aussi je regarde en boucle les œuvres filmographiques de Jaques Tati et David Lynch, et je lis et relis « Candide ou l’optimisme » de Voltaire.
Dans les artistes contemporains j’aime autant le travail de Chris Korda, que de David Hockney, Jean Claracq et Bertrand Lavier, Philippe Fangeaux et Amélie Bertrand, Laurent Proux et Oli Epp, Camille Henrot et Wilhelm Sasnal, Katarina Grosse et Alex Katz, Cyprien Gaillard et Marion Verboom.

 

Comment confrontez-vous votre peinture à la question de l’espace, du lieu ?

C’est une idée qui était là depuis toujours mais qui a pris sens lors du confinement. Je me suis retrouvée face à des expositions de peintures online, on voyait des peintures sur fond blanc, c’était hyper triste et ça mettait le doigt sur un sentiment que j’avais déjà ressenti lorsque je vais voir une expo de peinture dans un white cube, je reste sur ma faim, je veux plus. Il y avait une forme d’ennui aussi. Et surtout je n’aime pas ce qu’impose le white cube, c’est oppressant, intimidant, aseptisé, la plupart des gens n’osent pas rentrer et même respirer une fois à l’intérieur de ce genre d’expo. En travaillant l’espace et les peintures, je propose quelque chose de plus immersif, une expérience totale, comme lorsqu’on va au supermarché ou à la plage, on entend des bruits, de la musique, il y a des odeurs, des allées, des chemins, des circuits, un sol mou ou dur, etc.
Je veux que mon travail remplisse l’espace de l’artothèque comme une émotion envahit un corps.

 

Qu’est-ce que vous entendez par "une expérience du médiocre" ?

Je suis fascinée par tout ce qui est « presque nul ». Il faut arrêter de se voiler la face, on est tout à fait médiocre, c’est-à-dire à la fois presque nul et presque bien.
On ne s’entend pas, on ne sait pas vivre ensemble, on apprend à s’aimer, on trace plein de cases dans lesquelles on n’arrive pas à rentrer, ou dans la souffrance.
Ma fascination pour la médiocrité vient aussi certainement du fait que j’ai deux maladies auto-immunes que je dois tenter d’équilibrer tous les jours (même la nuit et le week-end) pour avoir un semblant de vie au quotidien.
Le problème est qu’on parvient à cet équilibre en sacrifiant tout ce qui fait que la vie est intéressante : il faut avoir un contrôle total sur ce qu’on ingère, sur nos émotions, sur nos actions.
La perfection rime pour moi avec ennui. Le sublime me coûte trop cher. J’ai besoin d’imperfection et de mettre en valeur notre perfectibilité. Petite j’étais amoureuse de Pierre Richard et pas d’Alain Delon.

 

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