Autour de l’exposition, « un autre regard »
L’artothèque invite le réalisateur Sélim Bentounes à faire une visite décalée de l’exposition Merci de bien vouloir de Camille Beauplan, sous la forme d’une conversation unilatérale à partir d’un texte du réalisateur Benoît Forgeard. Il s’agit de proposer un dialogue autour de l’exposition, à travers une approche liant la spécialité de l’intervenant – ici le cinéma – et une thématique de l’exposition.
Selim Bentounes répond également à Benoît Forgeard par ce texte :
"Cher Benoît,
J’ai lu ton texte sur les œuvres de Camille. J’ai apprécié ton style et tes qualités d’observateur.
Comme à ton habitude tu es un formidable pédagogue. Mais c’est aussi ce que je te reproche. Tu rates quelque chose. La vérité est ailleurs me semble-t-il.
Je te parle d’où je suis. On peut dire que je réalise des films, tu le sais. Malheureusement ils sont souvent hantés par une forme de pulsion scopique. Ce qui m’a fait moi-même rater beaucoup de choses. Je traîne devant mon retour d’image, je suis emporté par le hasard d’une brillance sur le coin d’une table. Je laisse tourner longtemps et je reviens à ce que je suis en train de faire, un film, mais c’est trop tard, la scène est passée. Lorsque je tourne mes films au passé ils sont mauvais.
Or Camille est en dehors de ça et tu ne le vois pas. Le film est là, dans le hasard certes mais surtout dans le futur. Elle n’est pas à l’entrée du trou noir. Elle est de l’autre côté. Ce que Camille réussit à dépasser, c’est le rêve de Dziga Vertov. Elle n’est pas l’homme à la caméra, c’est une femme caméra.
Ce n’est pas une cinéaste, c’est un film.
Camille Beauplan avale les motifs, elle crée une cinématographie de nos usages et les envois dans un autre espace-temps. Ce sont pour moi des motifs du futur. C’est un rêve de cinéaste de faire ça. D’être le geste. As-tu déjà trouvé ce geste ? Moi jamais. Camille est un geste tout entier.
Cher Benoît je ne t’apprends rien, au cinéma il y a le montage. Sans montage une image est une image, il n’y a pas d’image juste, il y a juste des images. Ce n’est pas moi qui le dit c’est Godard. Ici on est dans un film parce que Camille fait voyager ses motifs avec une logique secrète. Une énigme à résoudre, une arborescence, un escalier... pas simplement parce qu’elle capte un instant comme tu sembles le dire mais parce que c’est le temps tout entier. C’est une image temps. Et puis je t’en veux de me faire citer Deleuze ou Godard. Et ne parlons plus de Lynch, de Tati, de Vertov, parlons de ce qui se passe ici.
Capter une image n’est pas difficile. En faire un futur, un secret est une prouesse.
Tu as appelé ton texte , « Camille Beauplan, photographe à l’entrée du trou noir ». Pour être franc, je me suis dit que là, nous avions un désaccord majeur. Je pense que nous même pouvons même oser le mot controverse. Nous sommes au cœur de la controverse de Pessac.
Tout le monde voit bien ici que nous sommes à l’intérieur du trou noir et non pas à l’entrée. Et que, d’ailleurs, tout est en couleur.
Benoît, Merci de bien vouloir me répondre.
Ou parlons-en de vive voix.
Évitons simplement d’en venir aux mains cette fois s’il te plait.
Ton ami Selim.