Camille Beauplan

vue par

Elisa Rigoulet

Le réel est bien plus grand vu du dedans

La relation de Camille Beauplan à la peinture commence par une curiosité pour les cuisines contemporaines, leur hygiénisme, leur neutralité et leur artificialité, ce lieu à l’origine de gourmandise et de partage rendu à l’état de surface de laboratoire. L’utilisation de l’acrylique permet alors à l’artiste d’être au plus proche de son sujet et de mettre à l’inverse la peinture à distance, son potentiel d’imaginaire et de fiction. Elle veut se prouver par l’hyper-réalisme des couleurs, des formes et des courbes sa capacité technique à recréer le réel.
Après une pause de quelques années, Camille Beauplan renoue avec la toile en se moquant des choses banales autour de nous et qui ne fonctionnent pas : un mobilier urbain à l’abandon, un objet oublié, une fenêtre taguée, un siège de tourniquet volé. Des situations qui évoquent l’échec comme la poésie, une ode déjà à l’ambivalence. Puis l’artiste devient mère, et donner la vie, c’est un peu aussi s’inscrire dans le cycle de la mort. La puissante fragilité qui s’installe soudain doit être apprivoisée, tenue et contenue. Là encore, la technique en peinture est une démonstration de force, la preuve d’une capacité à faire et à s’adapter. Elle est aussi une résistance à l’isolement psychologique et organise méticuleusement dans l’espace de la toile ce que l’esprit ne sait pas traiter ou ordonner. Elle est le parachute, le garde-fou.

Puis elle lâche. Dans une valse prolongée avec la mort, l’artiste flirte petit à petit avec une pensée plus fluide, en diagonale, arborescente. Accepter le désordre extérieur, accepter le désordre en soi et accepter enfin le désordre dans la peinture. Lâcher. Chérir le flou. Camille Beauplan lit en effet l’espace comme un livre, de gauche à droite et en deux dimensions. La peinture à l’huile devient alors le medium d’une plongée psychique et d’une rupture avec les plans, un refus de situer et de limiter la scène, une volonté de diluer. Tout devient mou, drapé, horizontal. Les supports eux-mêmes explosent, la toile devient parfois du papier, le papier se maroufle sur du carton, les motifs apparaissent sur des tapisseries en impressions sur vinyl mat, Camille Beauplan accepte d’explorer les possibles. C’est liquide et vertigineux. Le réel est bien plus grand vu du dedans. Dans cette nouvelle nécessité de vivre, la peinture doit être une odeur, une chaleur, une chair, un mouvement. L’artiste se tourne vers l’installation comme une extension de l’action dans l’espace, une nouvelle exploration de la vision, une omniscience du vivant. Le vivant d’ailleurs apparaît, et avec lui des figures. Elles viennent faire l’expérience du monde dont on avait déjà cerné la désolation. Elles vont certainement choisir un des sièges du tourniquet et essayer de le faire tourner.

On respire. Puis, on plonge. La vision est fracturée, anamorphosée, quasi psychédélique. Tout discute. Le fond et le sujet fusionnent dans un abandon définitif des plans. Les lumières, les textures, les ondulations dessinent un mouvement d’aspiration. « Déliquescence, déformation », dit l’artiste. C’est le règne de l’entre-deux magique. « Presque » comme la poésie de l’ordinaire, de la vie normale, du vrai. Alors, la peinture de Camille Beauplan désacralise et invite au repos. Elle fait la paix avec la maladie, le temps qui passe, le corps qui vieillit. Elle porte le formidable pouvoir thérapeutique de la transformation.

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