« Is it future or is it pas ? », David Lynch

Frédéric Montfort, 2018

 

Comment supporter le désespoir de notre vie quotidienne morne et aliénée ? La réponse traditionnelle à cette question a longtemps demeuré : le fantasme. Cependant, on s’est chargé de fantasmer à notre place. Un certain projet moderne entendait réenchanter nos vies, replacer l’art dans la vie, nous esthétiser, ou encore peindre en mille couleurs l’air du vent. Il s’est agi de couvrir les grands ensembles en jaune ou en saumon, d’agrémenter nos flâneries de mobiliers urbains artistiques ou design, d’ériger des trous de verdure (naturels ou non) ou même - pourquoi pas - des menhirs. En somme, ces efforts bien intentionnés pour nous offrir un support fantasmatique nous font vivre dans le rêve d’un autre, ce qui est - comme l’a dit Deleuze - la définition même du cauchemar.

C’est ce cauchemar qui intéresse Camille Beauplan. Ses tableaux sont des pièges qui saisissent cette réalité grimaçante et ridicule. Cette capture est un moment de désillusion, de dessillement : notre réalité, c’est la juxtaposition des fragments de grisaille et des fragments de fantasmes assemblés sur un même plan. Ainsi, la lumineuse et onirique Maison de l’Emploi côtoie le néon du guichet automatique bancaire. C’est le constat d’un échec - non pas celui de notre fameuse « incapacité à réenchanter le monde », mais au contraire, celui de notre acharnement à le réenchanter. Vouloir réenchanter le monde c’est, quoi qu’on fasse, le rendre plus lugubre qu’il ne l’est. Nous devons bien l’admettre : nous ne sommes plus convaincus par le monde. Et il nous faut faire avec.

La peinture de cette mélancolie urbaine ne se limite pas à un geste critique. L’effet de grotesque, de sublime ridicule, cette juxtaposition de rêve et de trivialité - tout cela procède d’une sensibilité romantique et mobilise la figure romantique du lieu hanté. La version contemporaine de cette figure se nomme la zone. Figure omniprésente et ici, par exemple, mise en abime : dans cette zone qu’est le Musée d’art moderne, s’inscrit la photographie restituée d’immeubles en ruine dominés par une grue. Le lieu privilégié de l’art est la zone. Et Saint-Étienne, forcément. A la faveur des fantaisies hasardeuses et des modes surannées de tableaux en tableaux, nous pouvons discerner des lignes harmonieuses, des couleurs qui se répondent, des structures puissantes : au delà de la bizarrerie sans éclat de notre quotidien, il existe, dans le regard de Camille Beauplan, des formes étrangement convaincantes, et que nous ne voyions plus.

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