Laure Subreville

vue par

Marie Canet

Les polyphonies de Laure Subreville

Ça parle oui, mais d’une certaine façon car les corps sont tenus dans des espaces insulaires. Souvent ils communiquent entre eux au moyen de médiums plus expressifs, disons moins informatifs tels que des jeux corporels ou performatifs. Le contexte et l’action priment sur les psychologies. Laure Subreville préfère d’ailleurs se débarrasser de la narration en créant des principes de tournage.

En 2023, elle réalise le court métrage Parlez-moi d’amour, dans lequel des personnes âgées, résidentes en Ehpad, fredonnent un air musical comme si elles se préparaient pour un événement. L’artiste explique que l’intégralité du budget alloué au décor est passé dans la location d’une maison - plateau de tournage devenu le centre de l’action et de la vie du film. Les différentes équipes (techniques, protagonistes, d’aidants et de soignants) ont habité ici ensemble afin de faire le film - l’objet même de ce rassemblement. L’air fredonné qui court tout du long est l’objet du lien social qui permet de tenir ensemble les corps, le film, la narration et la nouvelle organisation du groupe.

Beau travail (2000) de la cinéaste Claire Denis est l’un des films de référence de l’artiste. Inspiré du récit Billy Budd, marin (1924) d’Herman Melville, il se déploie sur une base militaire française à Djibouti - à l’instar du bateau dans la nouvelle de Melville, de la maison dans Parlez-moi d’amour, du village amérindien dans le film Camopi One (2022), de l’usine dans Jean-Baptiste (2019) ou de la forêt dans Fortuna (2020). Ces espaces comme des scènes portent les récits, encadrent les huis clos et ces pratiques sociales ritualisées. Ainsi, le court métrage Fortuna met-il en scène une sociabilité masculine à travers un certain nombre de rites improvisés. Les hommes, paramilitaires ou dissidents, évoluent dans une forêt. Ils occupent cet espace physiquement et narrativement et ils parviennent à faire corps dans l’exercice de pratiques physiques endurantes telles que la marche, l’escalade ou le chant… sauf que l’amitié, ici, a remplacé l’amour mortifère. Tel est sans doute l’un des thèmes importants de Laure Subreville. Les situations qu’elle propose sont des occasions pour déplacer les hiérarchies. Pour Jean-Baptiste, elle propose ainsi aux ouvriers de l’usine Durousseau Outils Coupants située à Cenon de regarder les rushs avec elle afin de choisir les images et de travailler ensemble - et surtout que l’image du travail donnée soit en adéquation avec les gestes des ouvriers. L’échange a bien fonctionné.

Je me demandais alors de quelle manière l’artiste organisait les tournages, par quels biais pratiques elle pensait la question du social à l’intérieur même du travail. Elle m’a parlé des repas (un autre espace très important dans les histoires de cinéma), de leur longueur et de l’ennui qui permet notamment aux participant.es de donner leur avis sur ce qui a été fait durant la journée, de se positionner en observateur/observatrice de la mise en scène, de l’évolution du récit, de leur propre implication dans le processus du film… Il est question d’échanges et de positionnements, de tenter des organisations croisées, sans doute plus mobiles et queer afin de chercher des alternatives aux rapports de forces et tenter la polyphonie dans l’orchestration des corps.

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