“Filmer seul est le contraire de la solitude. Tout est dans l’échange avec la personne que je filme. Comme elle est seule devant moi, c’est mieux aussi de l’être face à elle. On traite à égalité ”.
Alain Cavalier
Jean-Baptiste Durousseau est le chef d’atelier de "Durousseau Outils Coupants" qu’il apprend à quitter peu à peu. Mathieu, Christopher, Mickaël, Damien, Rafae, René, Anthony, Fanny et Gauthier vont ré-orchestrer d’ici peu cette société en SCOP dont ils deviendront sociétaires. C’est dans ce contexte particulier que Laure Subreville découvre l’usine et ses hommes.
Cette immersion de quelques mois et de quelques lieux – le tournage a eu lieu en partie sur la côte basque espagnole – a permis la création d’une nouvelle partition dont Jean-Baptiste est la figure. Il est devenu le nom éponyme d’un triptyque vidéo. Jean-Baptiste est un portrait à deux visages, celui de son personnage principal et celui de la SCOP naissante.
Jean-Baptiste est pensé comme une partition montrant des hommes qui réparent les outils, organisent la matière et activent les machines. Un triangle se crée entre l’œil, la main et la machine. Laure Subreville en cherche l’équilibre.
Elle tente de s’approcher pour comprendre ces hommes, regarder ce qu’ils regardent. Le danger rôde car ici tout est coupant ou le deviendra. Elle expérimente la distance qu’elle doit respecter. Seule la technique et la dextérité permet d’approcher la machine. Elle restera en marge à regarder les corps à l’œuvre. Le geste de l’artiste et celui l’affûteur deviennent cette même partition. Chacun orchestre son ouvrage avec son outil, la caméra pour l’une, l’affûteuse pour l’autre. Ils se rencontrent.
Ces travailleurs créent comme les premiers hommes, des outils, des instruments, pour trancher la matière. Le Flysch apparaît au fil des images, il est le paysage tranché par la nature elle- même.
Nous sommes sur la lame. L’équilibre va se rompre. La nature restera.
Coline Gaulot
Écrits.
Laure Subreville, « Métal liquide », 10 décembre 2018
On affûte les dents. On lime l’acier. Il faut que les lames tranchent à nouveau.
Les hommes plongent au cœur des bêtes de métal, fouillent les entrailles. Pas de peau, que des organes. Les hommes travaillent à l’intérieur des bêtes, propulsent des liquides. Les mains manipulent les viscères, les câbles et autres pièces mécaniques. Ils opèrent. Les machines bougent lentement et déploient leur énergie par à coups.
On frotte le métal contre le métal. On maintient le troupeau en vie, les corps ouverts, branchés les uns avec les autres.
Les machines sont dociles, sans âme, sans tête. Elles ne regardent nulle part. Les carcasses de métal sont désarticulés, morcelés, éclatés en multiples pièces. Les bêtes lourdes gardent la même place dans ce troupeau statique.
Les hommes les surveillent de près. Veillent à les maintenir dans cet état ni vivant, ni mort.
© Adagp, Paris