Fortuna est un film insulaire où la frontière entre la terre et l’eau se chevauche. C’est un voyage initiatique et intérieur où les hommes se confrontent à l’isolement et à l’attente. Le titre Fortuna fait référence au mythe de la roue de la fortune, célèbre au Moyen-Âge. Symbole des mutations des conditions sociales, ce récit circulaire nous apprend que le monde est en constante mutation.
Le film interroge la notion géographique d’écoumène, de terres émergées et habitées par l’homme. Au delà de ces espaces, il s’aventure plus rarement dans l’érème, le désert. Il perd ses repères, abandonne une certaine domination de la nature et devient lui-même désert. Le rapport à l’espace environnant, celui qui nous sépare du groupe, puis de l’autre et enfin l’espace vital autour de soi fonctionnent sur le principe de cercles concentriques qui se déploient jusqu’aux limites du territoire.
Les personnages à la fois pionniers et déserteurs, sont en mouvement constant. Ils alternent entre leur base à terre et l’eau qui les entoure. Ces hommes tournés vers l’extérieur, vers le paysage, apprennent à vivre ensemble, à s’accorder intuitivement dans une sorte de longue prière collective. Fortuna met en scène une forme de sociabilité archaïque, une amitié pure. Giorgio Agamben décrivait cette relation comme « reposant uniquement sur la capacité à « con-sentir » l’existence d’un autre corps dans sa propre existence ». Le film se resserre sur la communauté et les liens qui les unissent. Impossible de savoir qui sont ces hommes, ni ce qui les retient ensemble. Seul importe ce que leurs actions préparent et comment elles s’organisent face à un environnement qui contraint leurs mouvements et influence leurs émotions.
La cadence du film se calque sur un rythme propre à la nature. Les hommes suivent le lever et le coucher du soleil. Ils absorbent le paysage et en font une partie d’eux-mêmes. Comme dans une partition musicale, des pauses et des silences en groupe sont nécessaires. Le repos représente ici une valeur temporelle qui permet de séparer et de différencier des temps d’action afin de mettre en évidence leurs relations. Comme dans mes précédents films, la communication entre les acteurs passe principalement par le corps. L’enjeu est ailleurs, dans la synchronicité, la construction d’un mouvement partagé et d’une syntaxe collective.
En tant que jeune artiste, la nécessité de la réalisation de mon travail, ainsi que les questions internes de lutte, d’entraide, d’errance et d’isolement dans un archipel d’îles fictives résonnent avec l’état actuel du monde.
Laure Subreville
© Adagp, Paris