Immortelle Nature

Fanny Lambert, 2016

Le travail de Laure Subreville est affaire de texture : végétation, matière spongieuse, lumière bleue, palette ocre, on plonge littéralement dans l’observation de la nature et du monde paysan, on fait corps avec ces milieux, « espaces à peupler » et dans lesquels on cherche quelque échos, et tout en même temps, à atteindre le silence.

On remonte le temps aussi pour rattraper les mythes, les rites païens et les récits anthropologiques. C’est un corps-à-terre ou un corps-à-corps avec la nature et ses secrets, entre un sacré et un profane, entre vivants et morts, entre terre et ciel et où l’homme de terre « accepte ce monde de terreur et ses mystères à la lisière des arbres » nous dit-on {note}1.

Tel le promeneur Jean-Jacques Rousseau écrivant quelques années avant la fin de sa vie, « tout ce que j’avais à faire encore sur la terre était de m’y regarder comme un être purement passif », Laure Subreville en appelle aux forces de cette même terre. Mais pour elle, nul besoin de loupe ou d’outils (ou rarement), pour faire l’expérience du paysage. Cris, souffles, craquements de bois ou de végétaux, elle est à l’affût. Une disposition à « mettre en scène et en lumière les questions de silence, de rituel et de disparition au monde », notamment à travers le film. Elle est à la recherche de l’homme sauvage mais ici, les hommes luttent avec les éléments, certains pleurent même mais épousent toujours la sensualité inhérente à la nature – l’énergie vivace et originelle, les « supplications et les éloges à la terre ».

Tout comme les rêveries de l’auteur des Confessions, l’artiste constitue des carnets de dessins dans lesquels apparaissent des Bêtes Sauvages (2015) qu’elle croit avoir perçues lors de ces randonnées. En naturaliste ou laborantine, elle glane lors de ces errances des pierres ou encore des bambous qu’elle force à plier et qu’elle travaille ensuite en fagots. Reste de cet affrontement aux forces végétales des objets quasi taxidermisés. Ces épouvantails sont accompagnés de textes ou « singes » comme elle les appelle, prenant eux aussi, la forme de monstres hybrides - et contribuant à leur tour à une forme d’appel au vivant.

Installations, textes, films (16/9), dessins (encre, stylo noir et cuivre), Laure Subreville tâtonne et traverse les médiums de la même manière qu’un territoire – par l’enfouissement, l’horizontalité et le détail. A l’image, la composition se fait fixe et léchée, la chromie, précise. Durant ses marches, elle se lance en défi (l’expérience du paysage n’est-elle pas avant tout une expérience de soi ?), elle, et les éléments qui l’entourent et ces « pointillés dans l’espace » ou Flèches que forment ces pierres de Gypse, se dévoileront telles des lames aux découpes surgissantes, venant déchirer le paysage. Si le dessin procède d’une pratique immersive et au long court (Cailloux – 2015/2017), le film concourt à une contemplation du monde où le sacré offre à l’homme la possibilité de se penser ou de s’interrompre : « C’est une quête obstinée, à la zone limitrophe des terres habitées où l’on affronte l’opacité des signes, l’irréductibilité des choses, l’ombre des actes. On se fait l’interprète du silence et de l’invisible » {note}2. Emprunt d’une curiosité ethnologique où rites et cultes s’offrent en mémoire, le travail ici, est une symbiose gracile mêlant mythologie, poétique perdue ou à retrouver, et portée métaphysique. Le Feu dit, l’homme incarne.

Titre du texte - "Immortelle Nature" : évocation à Jean-Jacques Rousseau : « Ma nature immortelle.. ».

1Propos de l’artiste

2Michel Serres, Biogée, Dialogues, 2016.

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