"on dirait que ça te gêne de marcher dans la boue" {note}1
Dans une sorte d’élan moderniste, les campagnes ont sacrifié leur identité rurale pour adopter une esthétique toute pavillonnaire.
Ce soucis de conformité a vu pousser des trottoirs dans les centres bourgs et Hélène {note}2 aurait bien du mal à y crotter ses sabots en allant chercher l’amour et son eau.Pourtant la nécessité de tels ouvrages de circulation laisse perplexe au regard de la fréquentation piétonnière et on s’interroge sur le réel bien-fondé de ces aménagements.
Tout aussi irrationnel, les places des bourgades fleurissent de jardinières et autres suspensions colorées qui seraient plus utiles à nourrir un citadin en proie au déficit de nature qu’un habitant des champs. Comme si les occupants de ces villages ressentaient le besoin d’être au diapason d’une esthétique globale, le désir de se fondre dans la masse.
Dans cette volonté du « être pareil qu’ailleurs », les communautés rurales se transmuent en fac-similés de zones périurbaines jusqu’à l’aseptisation totale des espaces ruraux.
Ainsi disparaissent des paysages les abris, les appentis de tôles ondulées galvanisées et rouillées pour laisser place à des hangars de tôle bac-acier couleurs lie-de-vin ou vert sapin. Car, si ces constructions étaient d’une esthétique rebutantes, elles n’en étaient pas moins, depuis des décennies, des marqueurs du paysage et de son activité.
Quant aux cours de fermes, elles se sont transformée en des "Southfork Ranch" {note}3 version pvc qui questionnent sur ces travailleurs de la terre. Comme si le bon sens paysan avait disparu, les agriculteurs arrachent les haies et les arbres pour que ce soit plus pratique ; certains pensant même à faire disparaître les ruminants du paysages en les enfermant dans les étables de mille têtes.
Afin d’offrir aux visiteurs et aux résidents secondaires une image fantasmée plus champêtre et bucolique, d’anciennes machines agricoles trônent au milieu des rond-points ; ici, une charrette à chèvre benne pour planter un parterre de fleurs, là, une vielle charrue et d’autres outils soudés rejouent maladroitement Jean Tinguely.
Ce décor normalisé transfigure les campagnes en un espace virtuel ou plus personne n’a peur de se salir les chaussures.
Alors pourrons nous à l’avenir encore marcher dans la boue.
À l’époque où potagers et ruches investissent les villes, la campagne fait tout pour paraître de plus en plus urbaine. Ces hybridations pourtant antinomiques seraient autant de terreaux d’où germent les pièces des quatre artistes rurbains présentés pour l’exposition.
Nourri par la street culture, Antoine Abel opère des basculements par l’emprunt à une esthétique et à des matériaux plus paysans.
C’est par des décalages et des distorsions géographiques que Jean Bonichon tente de rapprocher ce qui ne peut pas l’être.
Stéphane Vigny serait le plus « pavillonnaire » des quatre, s’il n’avait réalisé des pièces dont la matière première s’identifie immédiatement comme extraite de ruralité.
Quant à Steve Tournadre, il propose une peinture paysagère où des ferrandaises mouchetées de couleurs nous donnent à manger un fromage halluciné.
décembre 2017