"Battre la brèche", le titre sonne comme un appel, une convocation à tenir l’étincelle vivante ; car dans ce monde nouveau qui semble extirpé d’une autre dimension en noir et blanc, la brèche résonne comme le dernier interstice capable d’abriter la vie.
À l’instar des fissures que l’on peut trouver dans la chaussée de nos villes et qui laissent échapper des herbes folles, cette brèche donne l’espoir que la vie pourrait reprendre son cours après le grand cataclysme.
Car, si une forêt de bouleau a poussé dans l’espace d’exposition, celle-ci offre une forme toute particulière par un zébrage régulier de bandes horizontales carbonisées. Les parties de troncs de bouleau brûlées serait alors les marqueurs d’une explosion colossale dont seule est capable la bombe. Ainsi on été retrouvées sur les murs d’Hiroshima des « ombres/traces » macabres de personnes qui ont été littéralement atomisées par la puissance de l’explosion et de qui ne reste que des silhouettes noires comme imprimées) ; leur corps ayant fait barrage au flash lumineux avant d’être totalement volatilisé.
Ainsi l’installation et toute l’exposition auraient également pu se nommer « No-Where Land » (titre du panneau signalétique au lettrage effacé par le temps et les éléments) ; en effet, dans une forêt d’un nouveau genre, dans ce « pays du nulle part », la vie semble figée en bichromie.
L’ambiance y est glaciale et surréaliste car, si le matériau est naturel, il a été, en partie, dénaturé par le feu et la combustion. Hormis l’aspect carboné des parties de bois calcinées, une forte odeur de sève brûlée convoque la puissance de l’incendie et la fournaise implacable.
Pourtant, la visite du regardeur accompagnée par le son rythmé des pas pénibles d’un marcheur dans la neige donne à l’installation spatiale une atmosphère pesante et assez sombre. L’ambiance provoquée par ces pas lourds sans fin nous renvoie sans détour au roman post-apocalyptique La route (Cormac McCarthy, 2006) qui narre le cheminement d’un père et de son fils dans les paysages désœuvrés de ce qu’il reste de la terre après une guerre nucléaire totale.
Car le paysage dénaturé présenté ici est issu de l’hiver nucléaire qui accompagne le bouleversement atomique. En effet, lors de l’explosion de la bombe, des poussières sont projetées en si grandes quantités dans l’atmosphère que ces particules empêchent, par leur densité, les rayons du soleil de pénétrer et provoquent une chute très brutale des températures (une baisse de 20 à 30° dans les 15 jours).
Mais si tout semble sans espoir dans cet univers post-apocalyptique, le son des pas du marcheur laisse entendre que la vie existe toujours (tout au moins la survie) et on peut retrouver ce survivant debout sur un arbre (photographie couleur). Le personnage arbore un seau de métal à la place de la tête comme pour mieux se protéger des radiations et équipé de bottes blanches, il semble s’être accoutumé à ce nouvel environnement hivernal. Une capacité de résilience de la nature qui a été observée sur le site de Tchernobyl depuis plusieurs années.
Peut être se dresse-t-il sur cet arbre comme sur le poste d’observation d’un guetteur qui scrute dans le paysage la présence d’hypothétiques traces de vie.
Le choix du matériau -le bouleau, s’est imposé naturellement pour cette exposition par les qualités graphiques de son écorce blanche.
Cependant, c’est également la nature de cette essence qui m’a amené à vouloir travailler avec cet arbre pour réaliser l’exposition ; en effet, le bouleau est considéré comme un arbre pionnier.
Cette caractéristique en fait un des rares arbres capables de coloniser un espace jusque là vierge de forêt (d’autres essences comme le hêtre ou le chêne profitant alors de l’ombre de sa frondaison pour pouvoir s’implanter et se développer). Ainsi, ce pourrait être une des premières essences à se réimplanter dans une zone totalement détruite par le cataclysme nucléaire.
Les arbres présentés ici ne sont pas endémiques du Parc des Monts d’Ardèche ; aussi, ces arbres proviennent du Plateau de Mille Vaches en Creuse.
Ayant les défauts de ses qualités, ces bouleaux ont été précisément abattus pour empêcher la forêt de se développer sur des zones humides (comme les tourbières) qui abritent une faune et une flore rare. Ainsi, l’ONF pratique chaque année des campagnes d’abattage afin de préserver ces espaces naturels protégés.