A partir de détails repérés dans un contexte d’intervention, Jean Bonichon développe des réponses visuelles - qu’elles soient photographiques, filmiques ou déployées dans l’espace - sous forme d’objets, de sculptures, d’environnements où le langage a une place primordiale. L’élaboration de son langage plastique trouve souvent des échos sonores et vocaux. Elle peut être également influencée par des rencontres ou des associations de mots, d’idées, des calembours où les rapports texte/image nous entraînent dans des champs inconnus.
Dans Lecture Gargarythmique, l’artiste juché sur un tabouret déclame un texte avec la tête relevée. Micro en hauteur, un papier dans la main gauche, il performe avec un peu d’eau dans la bouche de façon à provoquer des sonorités dont il donne le détail dans une notice explicative. On ne se privera pas de relier cette performance à toute une généalogie depuis Dada et les Ultralettristes jusqu’aux inventeurs de la poésie sonore moderne. Cependant, et c’est en fin de notice qu’on trouve cette élégante pirouette, l’artiste invite son public à s’initier à ce dialecte original en s’entraînant quotidiennement dans sa salle d’eau. Cette dimension assurément triviale et communicative d’un devenir réel de son geste expérimental est en fait un véritable ressort dans la pratique de l’artiste. Jean Bonichon a un goût prononcé pour l’interaction.
Ses performances sont souvent réalisées en solo pour l’objectif de la caméra. L’artiste peut en extraire des photographies, des séquences filmées où l’on perçoit la réminiscence de certaines peintures ou sculptures (Caspar David Friedrich pour Hors Limites ou Laocoon citant Le Bernin), de films muets (les pantomimes du Mécanomime évoquent Buster Keaton et Pierrick Sorin). Les effets photographiques ou les déguisements qu’il utilise peuvent nous faire douter de la taille d’un objet dans un paysage ou de l’identité de l’artiste personnage. Très attaché aux détails de la composition et aux rapports d’échelle qui lui permettront d’élargir l’espace, Jean Bonichon montre aussi de façon presque technique les effets produits sur les objets par de tels agencements. On perçoit alors une économie quasi publicitaire de l’image.
La mise en place d’expositions est également un travail précis auquel Jean Bonichon aime s’adonner. Par des sculptures, des environnements, des photographies, des projections vidéos, l’artiste déploie les éléments de son vocabulaire comme autant d’embrayeurs narratifs incitant chacun à imaginer son histoire. Que l’on pense par exemple aux Petits voyages extraordinaires. Cet ensemble de sculptures praticables constitue un véritable tournant dans son parcours performatif et sculptural en ce qu’il réunit les conditions de sa pérennité en même temps qu’il conserve sa dimension ludique intergénérationnelle. Les parties de mini-golf imaginées par l’artiste sont autant de mini-situations qui fonctionnent comme l’illustration, le décor en 3 dimensions d’ambiances extraites de romans de Jules Verne. Mais les méthodes d’assemblages et d’hybridation des objets, des dessins en relief et en revêtements divers contiennent de multiples sinuosités, des obstacles au parcours des balles, des méandres et des ondulations. Autant dessinée que sculptée, l’oeuvre déploie des trésors de nuances matérielles et d’ingéniosité pour que les joueurs passent un joyeux moment.
Dans un film*, Jean Bonichon dit : « J’aime rencontrer les gens… J’aime aussi beaucoup l’accident, l’incident, parce qu’on se sent vivant...
Le burlesque permet de pointer des choses graves sans avoir l’air d’y toucher »*.Ceci résume parfaitement sa démarche.
* Un épisode de la série L’Atelier A., co-produit par l’ADAGP et Arte en juin 2016.
Yannick Miloux, novembre 2020