Faisant l’expérience d’un nouveau blue-jean. Umberto Eco notait que celui-ci donnait une contenance : il le contenait littéralement par compression de l’aine {note}1. Cette sensation nouvelle lui révélait I ‘influence du vêtement sur la moralité extérieure. Lorsque nous portons des talons hauts ou des maillots serrés, notre attention est portée sur cette contenance, dit-il, ce qui oblige à vivre vers l’extérieur en réduisant l’exercice de l’intériorité. Ainsi, tandis que les guerriers en armures et cottes de maille vivaient pour le dehors, les moines inventaient un habit flottant et les intellectuels se retiraient pour penser dans de vastes chemises :« La pensée abhorre le justaucorps »…
Conscience du monde extérieur ou d’une vie intérieure ? Les kimonos de Radmila Dapic proposent une autre transaction. Ce sont des vêtements de papier-kraft ornés de somptueux dessins composant tantôt une forme unique ou, lorsqu’ils se déclinent en lignes régulières, un motif décoratif. Chacun d’eux raconte une histoire, celle d’un kimono-tableau ou d’un kimono-sculpture lorsque l’arrondi d’un corps peint réclame une mise en volume sur le sol où il se tient alors tout droit. Si les kimonos rappellent Ia forme de la croix, l’histoire n’est pas celle du Golgotha mais un tissu de récits graves ou drôles aux références délicates. Les dessins prennent leur part des histoires mais le matériau fait le reste. Radmila Dapic confie ses vêtements à la presse qui, composant des plis sages ou froissant les manches, raconte l’attente du corps ou son souvenir. C’est une histoire sans dessus-dessous... La presse reproduit les empreintes peintes, les modifie, en inverse le sens et raconte finalement tout autre chose. Radmila expérimente, suscite les accidents et s’y ajuste, ajoutant pour finir une étiquette aux coutures comme on signe ou bas du tableau. Sombres, somptueux ou merveilleux, les kimonos de Radmila Dapic ne sont pas faits pour aller dons la vie mais semblent cependant en revenir. Si un vêtement est à la fois protection et parure, ceux-ci ne sont ni I ‘un ni I ‘autre. Ils ne protègent de rien mais, bien au contraire, s’imprègnent du dedans comme du dehors. Ce ne sont pas non plus des parures car, comme l’indique Radmila, « ils ne-sont pas faits pour être beaux mais pour être soi dedans », tout imprégnés de l’extérieur et de I‘intérieur.
Salle Atane, St. Yrieix la Perche, 2008
1Umberto Eco, « La pensée lombaire « , La guerre du faux, traduction française, Grasset, 2008 (1985)