C’est une femme et qui voit. Trace. La femme note : un banc public. Une embrouille dans le village. La palombière, on y tire le pigeon. Une autre femme prend en auto-stop quelqu’un qui travaille la terre. La femme danse dans sa tête. Au sol, tandis qu’elle marche, arpente l’espace qu’elle est invitée à rencontrer, des lignes se mêlent. On les nomme désir, elles sont laissées par les pas de celles et ceux qui ont, par commodité, décidé d’aller au point suivant de leur trajet sans passer par le bitume, médiane de singularités irrémédiables : le cadastre se révèle compromis. Il en va souvent ainsi dans le travail de Lidia Lelong. À force de voir, celle qui agit, artiste, en elle, révèle. Je regarde ce qui est autre et que je vois, sans comprendre, mais que j’entends, qui m’accueille, me crée un champ, à être ainsi, encore et toujours différent.
Lidia dit qu’un artiste est comme un boulanger, aussi pertinent à la communauté. Lidia-artiste ne produit pas des objets, tandis que Lidia-menuisière adore ce qui est bien fait. Lidia s’autorise la lisière.
Ailleurs, Lidia voit les pierres qui sont mises pour empêcher les voitures de se garer {note}1, y voit aussi l’impossibilité de fuir en cas de poursuite. Dessine alors dix pierres au fusain sur papier aquarelle 75 x 105 cm. Entoure 240 pavés, en tas, de ces reproductions en 2D, format 1/1. Lidia lit par exemple Surveiller et punir. Peut-être que, comme le boulanger, dont le levain, s’il est naturel, parle du terroir, de l’état de santé de la main qui pétrit, de la saison où il a été travaillé, l’artiste a pour fonction de faire un geste et qu’il s’ensuit que les œuvres produites sont à regarder comme on chercherait à se renseigner. C’est-à-dire que, comme le pain du boulanger nourrit, en plus d’être bon, et informe, en plus de nourrir, l’œuvre charrie.
Ce que veut dire Lidia quand elle compare la fonction sociale de l’artiste à celle du boulanger, c’est aussi qu’ils peuvent tous deux s’engager. Qu’ils ont tous deux la même responsabilité sociale. Elle pourrait dire : ni plus ni moins. Ce qu’il faudrait alors entendre, c’est qu’en face il y a : ceux et celles qui mangent le pain et qui regardent les œuvres.
Souvent, le geste, technique, est une (re)tenue. Ne presque rien faire, sinon regarder, reconnaître le sérieux nécessaire à la vision, fruit de mystère et de labeur, au sens de répétition, et qui requiert tant implication que disponibilité, retrait. Embrasser la dérive, Istoire sans h, Pérégrinations, Et aller n’importe où ailleurs… Ces titres d’œuvres ou de projets, disent d’ailleurs cela du travail, qu’il est ouvert.
Ailleurs, pensant aux labyrinthes à bras radial agencés pour les rats de laboratoires, Lidia coule du béton et traduit, à échelle, les nombreux habitats qu’elle a occupés. Formes géométriques, blocs massifs, lignes creuses qui ne sont pas des sillons et renvoient à l’étrange mystère qui anime nos écrans : un circuit. Ce qui autrefois avait un toit, ressemblait à un squat, une maison, un appartement, peut-être une voiture, une tente, une grange, un immeuble, est à présent élément dans une collection lourde, qui occupe le sol en fonction de l’espace. Lidia fait de ceci un cela qu’elle laisse au spectateur la responsabilité de gérer.
Le titre de ce texte est tiré de l’Istoire sans h.
1À partir de 108 euros la pièce de 4 à 600 kilogrammes.