Entretien

Didier Arnaudet, 2015

Pierre-Lin Renié enseigne l’histoire de l’art et de la photographie à l’École des beaux-arts de Bordeaux. Spécialiste de l’histoire de l’édition photographique, il a été, durant de nombreuses années, responsable des collections du musée Goupil et a organisé plusieurs expositions et catalogues. Rencontre à l’occasion de la récente publication de son livre, superbement conçu, Parc, Palendriai.

Pouvez-vous d’abord définir votre pratique photographique ?

Après une interruption d’une quinzaine d’années, je me suis remis à faire des photographies en 2004, à l’occasion d’un séjour à New York. Je retrouvais un plaisir à photographier, sans idées préconçues, avec le simple désir d’être attentif à ce qui se passait autour de moi, et une grande liberté dans le choix des sujets. Je ne travaille pas un sujet spécifique, mais plutôt une manière particulière d’être au monde. Il ne s’agit pas non plus d’un journal personnel, car je photographie toujours dans des espaces publics et je n’organise jamais les images chronologiquement, même si mon travail est résolument ancré dans notre présent. J’utilise la photographie pour ce qu’elle est : une technique d’enregistrement permettant de décrire le monde visible, partagé par tous. En douze ans, j’ai accumulé une collection de plus de 3 500 images, qui s’accroît toujours. C’est le matériau de mes projets, que ce soit des expositions, des livres ou un site internet. Chaque image est potentiellement disponible pour ces réalisations. Pour autant, certains ensembles émergent et acquièrent une autonomie. C’est le cas des photographies réunies dans mon dernier livre, Parc, Palendriai.

Comment est né ce livre ?

En juillet 2014, j’ai fait un voyage en Lituanie, durant lequel je suis allé à Palendriai. C’est un minuscule hameau, en pleine campagne, dont les seuls habitants sont les quinze moines d’un prieuré bénédictin. En 2000-2001, des travaux de réaménagement des forêts, marécages et prairies alentour ont eu lieu. Terrassements, creusement d’un étang et plantation de nombreux arbres et arbustes ont dessiné un paysage inventé. Depuis, il se modifie au fil des saisons et de la croissance de la végétation, retournant à un état de nature. Comme toujours, je n’avais aucun plan de travail en partant, mais la singularité de ce parc m’a aussitôt intéressé. Durant les quatre jours passés là-bas, je l’ai photographié, ainsi que le ciel – une habitude chez moi. L’idée d’en faire un livre est apparue dès le deuxième jour, et je l’ai réalisé cet été. Il s’articule en trois séquences symétriques : travelling avant sur le paysage, le ciel (gris / bleu / gris), travelling arrière sur le paysage.

Qu’est-ce que vous apporte, dans votre démarche d’artiste, la conception d’un livre ?

Mon travail s’appuie sur un double héritage, celui d’une histoire de la photographie, méconnue du champ de l’art contemporain, et celui de l’art conceptuel des années 1960-70, ignoré du milieu de la photographie. Je me situe au croisement de ces deux traditions a priori antagonistes. Elles me nourrissent autant l’une que l’autre. Le livre, qu’il soit « livre de photographies » ou « livre d’artiste », a été investi par les deux, il était donc naturel que je m’y intéresse. Il est comparable à un espace d’exposition – un espace d’exposition transportable, manipulable, produit en nombre, et appropriable par chacun à faible coût. Il possède son propre format, dans lequel les images peuvent s’ordonner et occuper la succession des pages. Les livres que je produis ont valeur d’oeuvre, au même titre que n’importe quelle autre forme d’apparition contrôlée des images que j’enregistre. Les techniques numériques autorisent aujourd’hui de faibles tirages à un prix abordable. Je prends tout en charge : la réalisation (prises de vue, maquette, suivi de l’impression), le financement et la diffusion. La production repose sur une microéconomie, autonome et directe.

Entretien à propos de l’édition ’Parc, Palendriai’ de Pierre-Lin Renié, Junkpage, n°29, décembre 2015

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