Whatever This May Be, la sixième exposition de Laurent Le Deunff chez Semiose, transforme l’espace de la galerie en un paysage tout blanc, peuplé de sculptures figuratives sur socles ou posées à même le sol, faites de « vrai » et de « faux bois ».
La formule « Quoi qu’il en soit », qui donne son titre à l’exposition, fait référence à la polémique ayant entouré le procès gagné par Constantin Brancusi contre le gouvernement américain, qui avait taxé ses sculptures – en principe exonérées en tant qu’œuvres d’art – lors de leur transit vers les États-Unis pour une exposition dans les années 1920. Au cœur du litige, L’Oiseau dans l’espace avait été considérée par les douaniers comme un objet industriel manufacturé et non comme une œuvre. De quoi plaire à Laurent Le Deunff, qui pratique la sculpture comme un art de l’artifice et cultive les faux-semblants.
Pour son nouvel opus parisien, l’artiste réunit, dans un accrochage dense aux accents modernistes composé d’une forêt de socles formant des îlots labyrinthiques propices à la déambulation, principalement deux ensembles d’œuvres sculpturales récentes : des totems en bois et des pièges en ciment. Si leurs sources iconographiques sont communes, ils émanent de techniques qui fonctionnent à contre-courant l’une de l’autre : la taille directe du bois d’une part et le rusticage de l’autre (ou rocaillage selon qu’il s’agit d’imiter le bois ou la roche). Tandis que la première permet à l’artiste de sculpter des formes mimétiques dans un élément naturel, le bois, la seconde imite ce dernier à partir de matériaux industriels. Aussi, le matériau d’une technique devient le motif de l’autre ; les défauts de l’une, les ornements caractéristiques de l’autre.
Placées sur des plateformes parallélépipédiques de hauteurs différentes qui semblent engagées dans une partie de Tetris en 3D, une multitude de sculptures-totems tripartites en bois reprennent le principe du cadavre exquis rendu célèbre par les surréalistes, dans des versions en ronde-bosse qui tiennent tantôt du trophée sportif, du bibelot ou de l’ex-voto.
Il faut savoir que l’artiste se passionne tôt pour les formes sculptées issues des cultures et pratiques vernaculaires – des mâts commémoratifs de Colombie-Britannique (Canada) aux sculptures contemporaines sur sable –, auxquelles il porte un intérêt qui ne l’a pas quitté depuis sa découverte de l’art à 18 ans, à la faveur de la première rétrospective de l’œuvre d’un certain sculpteur roumain au Centre Pompidou en 1995.
Si ses sculptures en taille directe sont issues d’une pratique quotidienne où il peut à loisir débiter ses billes de bois à la tronçonneuse côté jardin ou les ciseler sur l’établi côté atelier, il en est autrement des rusticages que Laurent Le Deunff réalise auprès d’un rocailleur lors de sessions de travail dédiées.
Le recours de l’artiste à ces procédés caractérise le second corpus de sculptures disséminées dans l’espace de la galerie, qui toutes sont empreintes d’un potentiel utilitaire que l’artiste choisit soit de ne pas activer ou qu’il désamorce.
D’un claquement de doigts, nous voilà aussitôt transporté
es au pays de l’enfance, au sein du Club des cinq ou chez les Castors Juniors, en quête de frissons et d’aventures extraordinaires au milieu de ces objets conservés, sculptés, imités, hybridés… Whatever they may be. De l’art ! Assurément.