L’exposition que consacre le musée des beaux-arts de Libourne à Laurent Le Deunff s’ajoute avec sens à la liste des artistes invité es. Saison après saison, le musée veut s’imposer comme un espace de découvertes, de rencontres et d’échanges, ouvert sur le monde artistique d’hier et d’aujourd’hui.
En prenant la direction du musée de Libourne en janvier 2010, solliciter Laurent Le Deunff pour une exposition monographique m’est tout de suite apparu comme allant de soi. Son exigeant travail sur les rapports entre dessin et sculpture, son appropriation des traces du temps au travers de matériaux qui ont vécu, sa propre inscription dans une histoire en train de s’écrire, son monde intérieur, me semblent en effet en parfaite adéquation avec ce que veut devenir le musée : un lieu où se mêlent les arts, d’hier et d’aujourd’hui, qui promeut l’incitation à la curiosité et à l’ouverture du cœur et de l’esprit.
Au Carmel, j’ai voulu proposer à Laurent Le Deunff une première exposition rétrospective qui nous permette de prendre de la hauteur, afin d’appréhender son œuvre objectivement : un travail d’histoire de l’art, en somme. L’un des principaux postulats de l’histoire de l’art, en effet, c’est de penser que tous les artefacts humains sont insérés dans un contexte, dans une histoire que l’on comprend mieux, dans une relation à la fois plus riche et plus libre, si l’on intègre cette dimension contextuelle, historique. À l’instar d’Éric de Chassey {note}1, je crois que l’histoire de l’art n’est pas une histoire comme les autres car elle ne considère pas l’objet artistique comme une chose morte. L’histoire de l’art tire sa spécificité de cette dimension vivante. C’est pourquoi l’histoire de l’art ne peut être opposée à la production de l’art actuel, ni à sa pratique en école. Les objets de l’histoire de l’art sont des objets vivants et non morts. Ce qui les rend vivants, c’est d’avoir un effet émotionnel ici et maintenant, qu’ils aient été réalisés il y a des siècles ou bien hier. Je tiens donc beaucoup à tendre des ponts entre la collection patrimoniale conservée au sein du musée et les œuvres contemporaines présentées temporairement à la chapelle du Carmel.
Laurent Le Deunff a quitté l’école des beaux-arts de Bordeaux depuis une dizaine d’années. Durant cette décennie, il a investi le dessin et la sculpture avec un égal engagement, au travers d’une double pratique artistique lente et déterminée, sensuelle et intense. J’ai pu suivre son évolution - La grande évolution ? - rigoureuse, méthodique, en un mot, limpide.
Son intérêt pour les procédés autorise l’artiste à explorer d’infinis possibles grâce à la mise en œuvre de nombreux matériaux : papier, carton, cuir, bois, pierre, os... Matières premières qu’il n’hésite pas à malmener parfois, à détourner souvent. L’artiste met en écho ces différents médiums.
Se développe ainsi un subtil dialogue entre dessin et sculpture qui fait naître une nouvelle histoire naturelle sous nos yeux, partagée à Libourne avec le public.
Oui, la Nature est partout présente chez Laurent Le Deunff.
Il entretient manifestement des liens privilégiés avec elle.
L’univers souvent ludique, toujours pertinent, qu’il crée avec ses réalisations plus vraies que nature convoque une sorte de « théâtre de la vie », infiniment sensible et poétique. La scénographie qui évoque, en plus modeste certes, la galerie de Zoologie du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, répond à notre souhait de mettre en place un dispositif spécifique pour le plaisir d’une perception plus forte et pour une invitation du public à l’exploration.
Le musée et son conservateur sont assurément très heureux de vous faire partager la découverte de cette expression originale, aboutie déjà, libre et pleine d’à-propos.
1Pour l’Histoire de l’Art, essai, « Le Préau », Actes Sud, avril 2011