Veine noire

Catherine Pomparat, 2010

Ici, devant les dessins, les sculptures d’Anne-Marie Durou, quelque chose qui n’est pas là se donne à moi. Un espace impossible et possible à la fois : il est là. Une étendue de silence, muette et parlante me parle. Un lieu sans lieu qui n’est pas privé de lieux me rappelle quelque chose : un Rêve, un Jeu, un Raz de terre, la flute et l’eau versée entre deux femmes nues, Concert champêtre. J’entends les voix des musiciens assis dans l’herbe. Seule, une ligne droite d’air se dresse.

Une quatrième dimension. C’est bien quelque chose d’inframince qui parcourt cette exposition. Une chose qui bouge sans cesse. Des mouvements. Le sens [sensation, direction, signification], c’est le mouvement de la vie entre les œuvres.

Ce mouvement est le silence entendu par les morts sous la pierre. Tout trait tracé provient d’une résurrection. Memento Mori ? oui, l’artiste le dessine indéfiniment et j’y crois en l’écrivant.

Je ne vois que ce que je crois. Je vois un dessin à l’encre sur tissu. Il change la place des choses muettes. Il déplace mon texte. Je suis le fil d’une parole déroulé d’une bobine familière.

Inquiétante familiarité d’un point de croix qui ne conduit pas au désastre mais qui lie deux morceaux de tissu. Sans tout le temps qui est là, donné par l’artiste, ces deux coupons que tout opposait ne se seraient jamais touchés.

Et moi aussi je suis touchée, d’être là, maintenant, devant, et d’y voir autant.

Mais écrire permet-il de voir mieux ?

Je regarde autrement. Je prends mon temps. De quel temps est-il question ? Les pratiques d’Anne-Marie Durou engendrent tant de questions à la fois… Le temps & l’espace, les mots trop gros. Je précise ce que je vois : une pratique d’artiste. Un petit bout d’espace attrape un petit fragment de temps et regarde ce qui se trouve à l’intérieur de son support : un morceau de tissu de 33 x 40 cm, un petit pan de mur jaune sans auvent de 200 cm x 200 cm, un petit mois de préparation avant exposition… un petit souffle, un Voyage au centre de la quatrième arobase, une grande émotion et un très beau nom : Veine noire.

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