Nicolas Milhé

vu par

Laetitia Paviani

Nicolas Milhé

De toute évidence, Nicolas Milhé négocie en permanence la position d’un travail qu’il veille à maintenir entre deux points de tension, politique et esthétique. Il ne suffit pas d’en faire le simple constat mais de faire l’expérience du trajet aller-retour entre les deux pour comprendre en chemin de quoi il est question.

Nicolas Milhé manipule les codes de la politique avec en ligne de mire un effet esthétique qui joue par exemple à lustrer à l’excès les attributs d’une République dont il maquille les affiches de campagne, monte les valeurs en collier ou sur les toits, pour mieux en éclairer le sens premier. Mais reprenons depuis la politique. La politique est relative aux affaires de l’État et à leur conduite, la politique c’est la société organisée, c’est un ensemble structuré, en vue de résultats, d’actions déterminées, c’est une architecture viable dont les éléments coordonnés sont interdépendants, c’est un corps organisé, un corps pourvu d’organes, un corps vivant, réglé et ordonné. Ce sont ces organes qui habitent le corps de la République et par extension celui de la politique que Nicolas Milhé détache, sépare et interroge. Ces organes du pouvoir sont au cœur de la problématique soulevée et manipulée par le travail de l’artiste, car si les organes sont de manière générale des ressorts, des moyens, ils sont plus précisément, depuis leur origine commune en latin, organum, des « instruments ».

Cette question de l’ « instrument » tout comme celle de l’ « instrumentalisation », qui en dérive, intervient à tous les niveaux du travail de l’artiste. « Certains organes ne sont que des produits, que des instruments créés par l’organisme ; ainsi les os, les dents, les milieux de l’œil sont des instruments que l’individu conserve toute sa vie et qui ne se renouvellent plus » (Claude BERNARD, Principes de médecine expérimentale, 1875). Les os, les dents, les yeux, à l’image d’autres détails architecturaux emblématiques, voire problématiques, sont des symboles dont Nicolas Milhé questionne le renouvellement et qu’il « instrumentalise » au sens figuré comme au sens propre. Il les prélève donc à même l’organisme politique, pour les modifier, les remplacer, puis les replacer, seuls, grossis, réduits, à l’envers ou de biais dans un autre genre d’organisme, celui de l’art. De manière générale les « instruments » de travail, les « instruments » de mesure, les « instruments » de musique, sont des objets conçus pour servir de moyen d’expression et de ce fait, sont susceptibles de former notre esprit, c’est-à-dire de nous « instruire » (instrumentum, instruere, etc.). Mais « instruire », c’est aussi « instruire » dans le sens de l’instruction d’un procès où il s’agit de rechercher et de rassembler tous les éléments nécessaires afin qu’une affaire soit mise en état d’être jugée. Et l’affaire en question ici, dans le travail de Nicolas Milhé, concerne la viabilité de tout organisme qu’il soit politique, économique, esthétique, ou simplement vivant.

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