« Le monde est tellement humain »

Didier Arnaudet, 2002

Michel Herreria procède par retournements successifs de points d’ancrage et, de ce fait, ces points d’ancrage deviennent des points de passage. Ces retournements des mêmes éléments, appartenant à des registres déterminés, produisent des pivotements, des renversements, des dépassements, et imposent un mouvement qui, se dégageant sans cesse des définitions atteintes et parcourues, se renouvelle en se poursuivant, se répétant indéfiniment. On dirait qu’au lieu d’engendrer une véritable progression, ce mouvement n’a d’autre but que de multiplier les contacts avec son état premier. Michel Herreria pointe ainsi des gesticulations, des situations et des articulations conditionnées par la pression sociale. Il en fait les ingrédients et les arguments d’une matière picturale qui s’ajoute, se greffe, s’agglutine à d’autres techniques, d’autres espaces, d’autres actions, et ne pense pouvoir se définir autrement que par l’addition des expériences diverses qui la ramène et la confronte à la question de sa propre exigence. De l’enseigne en néon qui affiche que “le monde est tellement humain” à la résonance de la structuration urbaine dans la peinture murale, de la déambulation acidulée proposée par la vidéo à l’idée contrariée de vitrine dans la série des verres voilés de blanc d’espagne et constellés d’inscriptions et de dessins, la boucle se referme, encercle le regard et réactive sa vigilance sur les phénomènes d’effacements et de détournements produits par les rouages économiques, politiques et sociaux.

Chez Michel Herreria, le pari est simple : il importe avant tout de gripper les mécanismes tout faits. Et pour cela, l’essentiel est de savoir jouer, tout en sachant que le mécanisme ne doit pas jouer, sinon il ne vaut plus rien. Il suffit donc de mettre du jeu dans le mécanisme et l’on obtient ainsi le but recherché. La fantaisie est donc incontournable. C’est le pas de côté qui oblige au décentrage. A la parole et à l’image fabriquées, imposées par les cadrages de la communication et de l’impératif de rentabilité, Michel Herreria oppose le gribouillis, l’onomatopée, le slogan à l’emporte-pièce, l’association inattendue, la tension entre deux pôles contradictoires. Il se donne comme fil rouge un personnage réduit à une simple silhouette qui perturbe de sa dérisoire présence des concepts de représentation et de modélisation. Il préfère la souplesse déconcertante, forte de sa seule obstination, à la raideur critique. Et pourtant, cette souplesse n’exclut pas les angles saillants et incisifs. Elle est là pour intriguer, déranger, susciter un questionnement. Il s’agit de retrouver les vertus de l’échange, de reprendre en compte les ressources imprévisibles des mots et des images. Le jeu occasionne ici un hiatus, un accident dans un fonctionnement parfaitement rodé. C’est la faille qui fait douter de la façade trop lisse. La finalité est de démasquer, d’ouvrir une possibilité de clarification, d’accorder une signification au réel.

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