Les œuvres de Véronique Lamare mettent en jeu la physicalité brute du corps et la qualité concrète de l’espace qu’elle articule l’une à l’autre dans des actions radicales, sèches et répétitives. Cette esthétique du peu et de l’élémentaire est mise au service d’un art résolument non-spectaculaire, humble et discret. Éprouver la matérialité du corps, des objets ou d’un territoire, ouvrir la scène de leur seule présence sont autant de stratégies d’autonomisation par lesquelles Véronique Lamare offre un contrepoint au corps instrumental et sursignifié des sociétés contemporaines. Placée entre les registres performatif, visuel et plastique, son œuvre déjoue les catégories comme les attentes du public par l’exhibition d’une plasticité nue, proprement désarmante.
Ses Dépenses consistent à écrire des protocoles d’activation pour mouvements, gestes et déplacements, resserrés dans un espace-temps circonscrit. Elle exécute des actions simples (sauter à la corde, cirer un parquet ou simuler un match de boxe), dont elle fait varier l’intensité, la vélocité ou les directions, qui relèvent aussi de l’expérimentation chorégraphique. La notion de performance sportive y est tout autant convoquée que désamorcée. Allant jusqu’à l’épuisement des ressources organiques, la perte d’énergie produit des formes gratuites qui n’ont d’autre enjeu que d’organiser l’économie de son effort. Les Dépenses permettent alors de révéler, en creux, ce qui fait le propre du corps, la tension radicale entre sa fragilité constitutive et son extraordinaire capacité de résistance. Sans souscrire à la réification marchande, il s’agit pour elle de l’objectiver, de le mouvoir, de le manipuler, de le mesurer, de le presser, de le tordre, de le contraindre ou de l’équilibrer pour en travailler la plasticité primaire, et ainsi l’agir autrement.
La tête occupe dans ce corpus une place particulière. Elle figure la pensée dans ce qu’elle a de plus sensible et affecté, comme un objet physique. Contre l’idée d’une âme éthérée, la plasticienne pèse sa tête, la moule et en dessine les voûtes, donnant une image à cet être-crâne ordinairement invisible à lui-même. De la même façon, dans ses autoportraits, elle ne détermine pas son identité par son visage, y préférant une figuration suggestive et elliptique. Avec ses vidéos à la caméra thermique, elle pousse ce principe jusqu’à réduire l’enveloppe à ses énergies internes, aux rayonnements et aux fluides dont elle ne retient que l’empreinte. De ce corps en partie caché, Véronique Lamare tire des images qui lui confèrent un cadre, sinon une scène et une théâtralité.
Qu’elle en établisse une topographie objective ou qu’elle l’arpente pour mieux s’y perdre, l’espace délimite chez elle un terrain de jeu et d’action poétique. Le lien performatif au lieu, naturel ou urbain, vise à « sculpter la distance » pour mettre au jour les infinies relations au corps qui le constituent. D’abord abordé mécaniquement, celui-ci se prête de plus en plus à une rencontre sensuelle avec l’architecture ou l’environnement. Les Éléments prélevés qu’elle y trouve constituent un dernier ensemble de travaux, celui qui affiche aussi le plus de proximité avec le champ de la sculpture. Mobiliers urbains, failles dans le bitume ou objets trouvés aux formes incongrues, Véronique Lamare convertit leur matérialité, passant par exemple du béton à la cire, pour en déconstruire leur valeur d’usage. Collecteuse des traces perdues ou imperceptibles, elle invente d’autres façons de les pratiquer et révèle à la vue leurs potentiels cachés, attentive à ce qui, en chaque forme, peut transformer le regard.