Emmanuelle Leblanc

vue par

Elise Girardot

Ça n’existe pas

Aux confins de l’abstraction et de la figuration, l’œuvre d’Emmanuelle Leblanc laisse libre cours à l’interprétation. Travaillant sans relâche de la couleur à la lumière, elle navigue de l’une à l’autre et s’octroie la liberté de ne donner aucun statut définitif à sa peinture. Les prémices de l’image s’imprègnent d’une recherche photographique assidue. Emmanuelle Leblanc glane, cadre et sélectionne des instants éclairés, comme pour La ligne de peinture et la série Photométéores. Progressivement et dans une approche immersive, les formats sont pensés à l’échelle du corps. Le regardeur est invité à pénétrer un espace à la fois pictural et architectural. D’emblée, la peinture est envisagée dans sa verticalité. Une succession d’étapes rythment sa lente conception : rappelant les procédés picturaux traditionnels, le geste précis est répété, couche après couche. Ces enveloppes de matière catalysent paradoxalement une luminosité éclatante. Les halos irisés révèlent une pratique de l’effacement : du lissage au ponçage, la trace du geste disparaît. Forgeant un minimalisme sensible, l’artiste ôte sa lourdeur à la peinture à l’huile et crée une apparition immatérielle. Devenue tour à tour méditative puis mystérieuse, la peinture produit un effet de synthèse. Emmanuelle Leblanc serait-elle illusionniste ?

De longs dégradés lumineux nous absorbent. Avec la série Diffuses, initiée en 2014, l’artiste réalise la symbiose de ses travaux précédents. Rythmés par des aplats colorés, les portraits de Matière à réflexion en étaient déjà la préfiguration. Les coulisses des Diffuses sont imperceptibles tant le labeur se dissimule derrière une sensation immédiate, proche d’une rencontre contemplative avec un paysage. La couleur est le point de départ de ce travail au long cours qui parvient à condenser une présence au-delà de la toile. Notre perception de la couleur est relative : insaisissable, elle n’est jamais tout à fait la même selon notre état ou l’heure à laquelle nous la regardons. Au gré du contexte, le vert s’étend, s’allège ou s’assombrit. Les couleurs sont habitées par l’onde de la lumière : elles vibrent, elles muent. Des gris nordiques aux ors italiens, l’environnement extérieur exerce une influence directe sur les palettes. Fin 2019, Emmanuelle Leblanc voyage en Inde. Le choc des myriades d’odeurs, de tissus et de sons produit un renouvellement de sa gamme chromatique. C’est un tournant pictural. Soudain, l’ocre jaune côtoie l’ocre rouge, le safran et l’outremer. Cherchant l’oxymore, l’artiste invente aussi des couleurs qui n’existent pas : un vert écarlate unit deux pôles que tout devait opposer.

Emmanuelle Leblanc poursuit sa quête visant à faire sortir la peinture du cadre. La démarche s’étend à l’espace public, comme dans une série d’images photographiques en devenir intitulée Shine !. Cette tentative s’accompagne d’un travail sculptural qui prend la forme de grandes colonnes. L’artiste y reproduit la technique des Diffuses, la peinture investit le volume et l’espace, en conversation avec le corps de l’observateur invité à plonger dans une vague ou un faisceau lumineux. Le souvenir apparaît, celui de notre dernière baignade océanique, où la sensation de la vague qui frappe notre corps est plus forte que la forme de la vague elle-même.

Élise Girardot

Juillet 2021

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