Thomas Lanfranchi

vu par

François Coadou

Thomas Lanfranchi

Thomas Lanfranchi est l’un de ces artistes rares dont on guette avec un intérêt toujours renouvelé la moindre manifestation. Avec la même opiniâtreté qu’y mettrait un savant – ou mieux : l’un de ces inventeurs en même temps dilettantes et obsédés qui jalonnent l’histoire des techniques –, il mène depuis des années une même recherche, en marge des grands circuits spectaculaires, quelque part aux confins – et au point instable, sinon même improbable où ils se croisent – de la sculpture, de la performance et du dessin.

Partons de la première : Thomas Lanfranchi réalise de grandes formes géométriques. Nul marbre ici cependant, ni rien qui s’en approche. Il prend au rebours les fantasmes de pérennité, de solidité, de masse qui hantent encore souvent la sculpture. Ces formes, en effet, il les fabrique à partir de sacs plastiques, aux couleurs que lui propose l’industrie. Le geste du sculpteur, chez lui, n’est plus que dans la découpe et que dans l’assemblage, à l’aide d’un ruban adhésif, de cette pauvre et fragile membrane. De sorte qu’il n’est plus qu’un préalable à vrai dire à l’œuvre elle-même. Il appelle pour qu’elle se réalise l’apport d’un élément autre : le vent. Il faut que cela gonfle et s’envole. Et c’est toujours une aventure de voir ses formes s’élever et se découper sur le paysage, à peine retenues à terre par quelques fils. Parfois cela tient – fût-ce pour ce temps par définition court que dure l’évènement –, parfois cela craque d’emblée. L’artiste a beau déployer de patients calculs pour réaliser ses pièces, elles doivent toujours faire face, en situation, aux aléas des forces naturelles.

La vidéo ou la photo en conservent certes la trace. Mais l’on comprend que c’est dans le direct de la geste qu’elles se donnent le plus essentiellement et le plus évidemment. En même temps qu’elle s’encanaille ainsi avec la performance, la sculpture, réduite à cette membrane, engage aussi chez Thomas Lanfranchi un rapport essentiel au dessin : pour déployer qu’il soit dans l’espace et quand bien même il est de plastique, c’est bien un trait, en effet, qui fait pièces. Et c’est par là que ce premier aspect de l’œuvre – la sculpture pour le redire vite et employer ce qu’on vient de voir n’être qu’une facilité de langage – en rejoint un second : une pratique plus classique du dessin. Plus classique, au double sens où elle se fait sur le papier et où elle accompagne, celle-là, l’artiste tous les jours. Y défilent des animaux, des personnages, découpés – point de hasard – dans les mêmes sacs plastiques, que reprend et complète le crayon. Ce sont comme les feuilles éparses d’un journal : la pensée à la fois scientifique et magique qui sous-tend la sculpture – osons y accoler de concert ces deux adjectifs – s’y donne à voir sous les espèces cette fois de l’image. Et ces morceaux-là, ces fragments d’idées vécues, encore qu’ils soient fragiles comme tout dessin, on peut quant à eux les conserver toujours par devers soi.

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