Sarrasines, 1992, Cellier de l’abbaye, Tournus
Dans le vaste cellier roman de l’abbaye de Tournus, Jacques Vieille a dressé les sombres fortifications d’une citadelle. Seule la lumière parcimonieuse d’un unique soupirail effleure les parois striées et le faîte crénelé de cette construction défensive. La découverte abrupte de cette pièce provoque un effet de sidération chez le visiteur. Il cherche à en lever l’énigme en la longeant et en la contournant. Le double alignement de plaques cannelées en fibrociment, couleur « monument historique »…, destinées à la couverture des hangars délimite une longue, étroite et impénétrable enceinte que ponctuent, sur sa crête, huit petites constructions ajourées. Jacques Vieille a reconverti les simples coffrets cartonnés qui servent aux conditionnements attractifs des crus locaux en des forteresses miniatures. Dans la chiche lumière du cellier, les emballages repeints en une uniforme couleur « chocolat » varient dans leurs développements et dans leurs empilements. Sont-ils un rappel de la châsse – reliquaire de Saint Philibert de la crypte voisine, ou, comme le suggère le titre de l’œuvre, « Sarrasines », une référence aux énigmatiques cheminées qui perdurent, depuis le Moyen-Age, sur quelques fermes bressanes. Ces petits clochers campagnards, de type carré ou pyramidal, ont une origine discutée. Ils s’apparentent aux clochers romans avec leurs arcatures et leurs bandes lombardes, tel celui de l’abbaye Saint Philibert qui s’entrevoit opportunément à travers le soupirail, et seraient les ultimes vestiges d’une influence orientale, de très lointaines invasions « sarrasines ». Cette curiosité architecturale locale, Jacques Vielle l’installe sur le faîte de la longue et abrupte toiture qui s’étire sous les arcs brisés de la voute romane. D’un choix minimaliste de deux matériaux ordinaires, le fibrociment et le carton, et par la simplicité d’un assemblage rigoureux, il nous offre une vision métaphorique et poétique de l’Histoire et de ses monuments.