Une feuille d’acanthe, 1990, Puits Arthur, Ronchamp
Intervenir dans une localité aussi fameuse que Ronchamp était un défit que le « sculpteur-architecte » Jacques Vieille ne pouvait que relever. Si le site de la chapelle Notre Dame du Haut n’autorise et ne supporte aucune confrontation, celui de Puits Arthur, ensemble de bâtiments industriels désaffectés depuis l’arrêt de l’exploitation minière des houillères en 1958, permet de développer un investissement artistique de grande ampleur. Les friches industrielles sont, depuis vingt ans, fréquemment reconverties en centres d’art, mais l’intervention de Jacques Vieille est ici avant tout un acte de mémoire, une performance magistrale et éphémère pour célébrer l’esprit des lieux : l’activité minière disparue ainsi que la proximité de l’œuvre de Le Corbusier. Le geste artistique se devait de revendiquer l’architecture et d’associer différents niveaux d’appréhension et de compréhension par des variations d’échelles, du global au parcellaire, par un télescopage temps et espace où l’histoire des formes retrace des lieux de labeur.
La perturbation visuelle surgit dés le dessin du projet : la vue axonométrique d’une feuille d’acanthe pixélisée en un immense carroyage, le détail emblématique de l’art antique promu en un espace métaphorique de l’architecture. Le trouble se poursuit lors de la réalisation qui, en conservant un aspect graphique, semble se refuser à la troisième dimension en s’étalant en une gigantesque mosaïque. Un parterre de mille mètres carrés de parpaings de béton brut dessine, en creux, les contours d’une forme tentaculaire en poussière de charbon de bois. Cette étendue grise et noire, sous la vaste nef de la salle des machines laissée à l’abandon, pourrait pousser le visiteur à la mélancolie et à la nostalgie des temps révolus. Mais en gravissant les degrés d’une terrasse de moellons, il découvre que ce « paysage avec ruine » est l’habile anamorphose d’une fuligineuse feuille d’acanthe.