Marie Sirgue

vue par

Doriane Spiteri

Marie Sirgue, à l’essentiel

En s’appropriant les objets les plus communs, Marie Sirgue prend part au monde pour le transformer. Transmission, recréation, répétition, sa manière de créer passe d’abord par la découverte, l’apprentissage ou la maîtrise d’une technique et d’un geste. Elle opère un va-et-vient entre la forme et son support pour explorer ce qui constitue la communauté humaine en déplaçant les regards. Que ses expérimentations la portent vers l’univers rural ou urbain, vers le jeu ou le sport, ces morceaux de réel lui permettent d’explorer les rituels contemporains. En questionnant la forme, la taille, la texture, la surface, elle confère une nouvelle existence aux objets. Si elle ne cherche pas le beau, elle s’y confronte sans cesse tant son travail révèle une sensibilité au monde qui l’entoure.
Pour l’artiste, tout est affaire de rencontres. Avec les territoires et les contextes, les techniques et les matières, celles qu’elle impulse avec chaque personne avec qui elle coopère, et enfin avec les publics qu’elle considère comme ses complices. Toutes révèlent l’importance qu’elle accorde à la place de l’autre.

Dans son rapport au contexte, elle arpente, observe, glane et récolte pour tirer des fils. Ses enquêtes de terrain s’inscrivent dans une réalité tangible et tout est prétexte à l’aventure. À chacun de ses projets des pistes surgissent, des séries se prolongent.

Le travail de la céramique qu’elle affectionne particulièrement attise sa curiosité à pousser l’expérimentation, à décliner, revenir, transformer, à faire évoluer la matière. C’est cet intérêt qui la mène à la technique de l’Anagama {note}1 avec Gamelle à chien. Pour réaliser ces pièces, elle travaille avec des dompteurs de feu. Chaleur, passage de flammes et dépôt de cendre, déforment la terre et lui confèrent la patine naturelle d’un ballon de cuir.
Avec Bleue, la technique est aux prémices du projet. En tapisserie de fil de soie, bambou et laine elle magnifie alors la bâche bleue la plus triviale en jouant sur sa texture, sa lumière, ses traces de pliures. Un travail de longue haleine qu’elle mène avec des lissières d’Aubusson et qui révèle tout son intérêt pour le trompe-l’œil. 


S’il prend toujours en compte le contexte, son histoire et les personnes qui le constituent, son travail prend souvent des formes cartoonesques avec l’utilisation de motifs récurrents comme la brique ou le camouflage. Sa démarche est parfois plus immatérielle, avec l’emploi de la lumière ou de la matière sonore qui donnent corps à un espace et à une temporalité. Depuis 2019 avec L’Arche de Noé, elle constitue une collection de pièces en bronze obtenues à partir du moulage d’excréments d’animaux. Elle travaille la patine du bronze mais c’est le contexte de l’œuvre exposée qui l’intéresse le plus, offrant des significations différentes à l’objet en fonction du lieu.

Ses œuvres portent en elles une réflexion sur le double, le modèle et la copie. Avec humour, elle singularise l’ordinaire. Œuvrer c’est faire monde, distinguer le signe et la chose pour une mise à l’épreuve de l’authenticité. Brancusi affirmait : « Ce n’est pas la forme extérieure qui est réelle, mais l’essence des choses. Partant de cette vérité, il est impossible à quiconque d’exprimer quelque chose de réel en imitant la surface des choses » {note}2. Dans sa mise en perspective du réel, Marie Sirgue parvient à l’essentiel.

 

Doriane Spiteri

1Mode de cuisson lente de la céramique à flamme directe, dans un four à une seule chambre.

2Tabart Marielle, Brancusi l’inventeur de la sculpture moderne, Paris, Découverte Gallimard/Centre Pompidou, 1998, p.119

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