MUSEUM

Jean Poussin, 2007

Muséum

Le musée va changer ; il a déjà bien entamé sa mutation. C’est d’abord un hommage que Florent Contin-Roux veut lui rendre, lui qui a tant fréquenté ces salles depuis l’enfance. Le musée municipal, généraliste, peut déconcerter le visiteur par la diversité de ses collections, qu’à l’âge tendre on saisit pourtant comme une unité harmonieuse, sans séparation d’avec le monde des jouets ou des cours d’histoire antique. L’enfance est un âge de mélange heureux, l’âge où l’on aime à se jouer des étiquettes. Pour le regard d’enfant, à hauteur de vitrine, toutes les œuvres du musée se donnent à voir indistinctement, généreusement. Elles sont le prétexte à d’autres jeux, et les Playmobil, le soir, peuvent aussi bien devenir des dieux égyptiens.

Mais il s’agit aussi de questionner, à l’ère du numérique, un nouveau rapport au musée et aux œuvres. Le pixel, même s’il renvoie à un âge déjà dépassé, celui des débuts du numérique, est ici utilisé comme emblème de cette époque, où tout peut être analysé, décomposé, retranscrit à distance.

Le microprocesseur, traité comme un dessin d’architecte, est là pour rappeler que désormais, tous les musées peuvent tenir dans la main ; ils pourront même, bientôt, être glissés sous la peau, tout près du cerveau. Pourquoi alors se déplacer lorsque l’on peut, en quelques clics, s’offrir des visites à volonté ? C’est là un progrès incontestable, c’est aussi une perte du rapport aux œuvres et au charme des lieux. Le propos n’est pas pour l’artiste de se livrer à une vaine et naïve dénonciation, mais de réinvestir le pixel comme symbole et comme signe graphique. On sait que le pixel sert à décomposer l’image, mais que l’on songe au double sens du mot décomposition : réduite à ces points élémentaires, les images se meurent. Que l’on songe aussi à son utilisation télévisuelle : le pixel n’est plus alors le signe d’une imparfaite définition de l’image, mais bien le brouillage volontaire d’un visage ou d’un sexe. Il protège la vie privée des enfants, assure l’anonymat des témoins. Vecteur d’information, le pixel est aussi ce qui brouille, ce qui dresse une barrière entre nous et l’image. Ainsi pixellisé, Renoir est renvoyé à une mosaïque anonyme, et le pape gisant connaît une seconde agonie. C’est dire que l’œuvre ne se réduit pas à des petits carrés ; finalement, il faudra toujours venir voir. Et revenir encore.

Le musée est un lieu commun, l’endroit où se donne à voir le patrimoine de tous. C’est un trésor public. Florent Contin-Roux a voulu prendre au mot cette idée en s’appropriant le musée, et nous invite à faire de même : vous êtes ici chez vous. Ce musée fut autrefois un palais, autrement dit une maison ; espace privatif rendu public par les détours de l’histoire. Jouant avec les motifs décoratifs, Florent Contin-Roux imagine un usage domestique de ce bâtiment solennel. Qui n’a pas rêvé de se faire enfermer un soir, de s’asseoir sur les vieux fauteuils interdits, de franchir les épais cordons qui protègent les espaces réservés ? Les murs ont une histoire, dit-on souvent, ou encore : ils en ont vu, ces murs. S’ils pouvaient parler… Mais les murs ne parlent pas tout seuls, d’ailleurs ici, ils sont aveugles. Ils ont pourtant une histoire en effet, qui reste le plus souvent inaperçue du visiteur. C’est un peu de cette histoire intime du bâtiment que Florent Contin-Roux cherche à raconter, en s’attachant aux apparences, aux indices, aux traces d’une vie oubliée.

La nostalgie ici ne porte pas sur les collections du musée. Elles sont promises au plus bel avenir, redéployées dans de plus beaux espaces, valorisées grâce au meilleur mobilier, doucement éclairées par les lampes les plus perfectionnées. Mais qui dira la poésie des anciennes boiseries, des moulures étrangement bleutées ?

Qui chantera le charme des vieux interrupteurs ? Pour les prises électriquesfrappées de désuétude, l’architecte n’a pas prévu de rayon des souvenirs. Qui pensera encore aux fissures, aux lézardes, aux écailles, bref à l’ancienne peau de ce bâtiment, voué à devenir un plus parfait animal ? L’artiste porte une tendresse particulière à ces détails bientôt oubliés, qui recèlent pourtant une partie de l’histoire non écrite du musée.

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