On n’y voit pas très bien. Ces peintures semblent parfois se tenir de l’autre côté d’une vitre embuée. On veut l’essuyer avec le plat de la main, mais on ne fait qu’aggraver le flou, et de toute façon la voiture roule trop vite, le paysage est déjà reparti à toute allure vers l’arrière.
N’en reste plus que le souvenir. Souvenir que l’on attrape plus ou moins bien, que l’on garde plus ou moins longtemps, selon le train où va la vie.
L’art de Florent Contin-Roux est d’abord dans ce sens de l’ambigu : savoir saisir cet entre-deux, cet état vaporeux et indécis qui caractérise souvent notre rapport au paysage.
Cet état est aussi celui des rêves. En dormant nous cherchons à saisir des fantômes, à effacer des mauvaises traces. Au matin, nos poings ne ramènent que du vent. Pourtant quelque chose subsiste, comme une vapeur persistante au-dessus de la netteté du quotidien. C’est un objet de cet ordre que cette peinture s’attache à traquer. Elle s’apparente à un travail de mémoire, entre apparition et disparition, entre masque et dévoilement. Montrer sans trop montrer, montrer en dissimulant : telle est la subtile et insatiable recherche de l’artiste. S’attacher à révéler et à recouvrir tout à la fois, n’est-ce pas ce que nous faisons de nos souvenirs ? C’est notre condition de vivre dans ce flou que l’on dit artistique, comme si le flou était l’apanage de l’art, comme si la vie n’était pas une perpétuelle — et incertaine — mise au point.
Si Florent Contin-Roux a souvent recours à la photographie comme matière première, c’est parce qu’elle se donne comme reflet et souvenir fidèle du monde. Recouvrant les clichés, les grattant, les renvoyant à leur échec en tant que représentations du réel, il se livre à une sorte d’archéologie à l’envers.
Retrouvant, par strates successives, par glissements et coulures, une autre vérité du paysage. Un travail de révélation, comme on dit en photographie, mais qui des moyens du laboratoire ne garderait que la pénombre. Le paysage est perturbé et changeant, pourtant il y a toujours un horizon vers lequel le regard se porte. Cet horizon, présent et indépassable même dans les plus abstraites de ces peintures, est garant d’un certain équilibre, d’une forme d’harmonie. Avec cependant une frontalité toute contemporaine. Les taches de peinture, les gouttes, les brouillards sont là pour rappeler cette vérité première : c’est toujours de la peinture. Cette prise en compte de la modernité n’est pas exclusive d’une certaine tendresse pour ces paysages imparfaits. Les taches ne sont pas seulement des obstacles à la vue, elles sont aussi — et tout en même temps — des caresses, des effleurements délicats. C’est dans cette oscillation entre distance et proximité, entre séduction et radicalité que la peinture de Florent Contin-Roux entend se situer : quelque part entre le lâcher prise et le saisissement du réel.