GARDEN

Jean Poussin, 2010

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile.

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755.

On sait que le paysage inviolé, la pure nature, n’existe plus depuis bien longtemps dans nos contrées. Mais le jardin est par définition ce territoire où la nature est reconstruite par l’homme. On y trouve, outre les plantes, tous les objets manufacturés dont nous avons besoin pour nous y sentir bien. Ces chaises en plastique, si molles et collantes à la peau par temps chaud, ne sont pas bien jolies. Mais elles permettent au jardinier de contempler son ouvrage. C’est pourquoi d’ordinaire, on ne les voit pas : on est assis dessus. Florent Contin-Roux a choisi de tourner vers elles son regard de peintre, mi-attendri, mi-critique.

Hommage de l’artiste à ces objets ordinaires, qui tendent à se faire oublier au cœur du foisonnement de la végétation. Sièges, pourtant, de repos mérités et de rêveries bucoliques. Il est vrai que l’on peut léviter parfois, sur une chaise en plastique, comme sur cette peinture où le siège semble flotter entre deux eaux.

Et la tondeuse se coule dans la verdure, elle semble tapie dans l’herbe comme un animal sauvage : puisqu’elle prend la pose, pourquoi ne pas faire son portrait ? Cette machine n’est plus seulement une briseuse de sieste, elle est aussi, à son tour, un élément à part entière de cette nature recomposée.

Le jardin est tout à la fois l’ouverture vers le monde, un premier pas au-dehors du chez-soi, et aussi une clôture contre l’agression extérieure. Puisque le paysage est bien souvent hostile, puisqu’il est pollué, autant cultiver son jardin et domestiquer le végétal. Pour l’homme effarouché par le dehors, les barrières du jardin posent les limites de la sauvagerie acceptable. Au jardin, l’horizon est borné, mais c’est mon horizon, précieux pour cela.

Le jardin constitue un rêve, modeste et parfois illusoire ; le vert est à la mode et il est plus facile de l’inviter chez soi. Aujourd’hui tout le monde veut consommer du vert ; ce qui revient souvent à rajouter du plastique dans la nature. Point de jugement, pourtant, dans le travail de Florent Contin-Roux, mais un regard lucide et amusé. Dans les riants souvenirs d’enfance, la chaise en plastique participe de la même nature onirique que la glycine exubérante.

Au-dehors, le camping est une autre façon d’habiter l’extérieur. Pour supporter la sauvagerie un peu plus loin, on emmène son mobilier. Le paysage est peut-être défiguré, mais il y a de la tendresse, aussi, dans la façon dont les fourrés accueillent en leur sein nos tentes et nos réchauds à gaz. Tendresse et menace à la fois, que l’on retrouve dans la manière de Florent Contin-Roux : cette baigneuse s’avance prudemment au centre de la piscine, peut-être parce que l’eau est froide, plus sûrement parce qu’elle sent peser sur elle l’immensité de la nature, la froide colère de ces arbres dégoulinant sur elle.

Qu’elle soit poliment invitée au jardin, ou timidement défiée depuis l’abri de nos toiles de tente, du bout de nos chaussures en plastique, la nature porte en elle cette ambivalence : elle est pour l’homme un milieu hostile, mais il n’en connaît pas d’autre, finalement.

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