Aurélien Mauplot propose d’inverser les points de vue, de regarder le monde depuis l’espace, moins ses sommets montagneux que leurs vallées, ou de s’enfouir dans une grotte pour mieux l’examiner. À partir des livres qui nourrissent son intérêt pour l’exploration des paysages, l’artiste crée des systèmes de visualisations abstraits de notre environnement.
Il dessine les plus hauts sommets du monde la tête en bas, à même les pages du premier livre de montagne de Maurice Herzog, Annapurna Premier 8000 (1951), et superpose, sur chacune des 331 pages du Tour du monde en 80 jours de Jules Verne, la silhouette noire d’un des pays actuels. Cette cartographie fragmentée - contrairement au planisphère où le pays apparaissent faisant partie d’un même grand ensemble - révèle l’aberration de la fabrication des frontières. Si bien que l’éloge du colonialisme énoncé par l’auteur du XIXe siècle ne semble pas très éloigné des enjeux géopolitiques contemporains. Le titre même de la pièce, Les Possessions fait écho à l’Île de La Possession, baptisée ainsi par les explorateurs découvrant cette terre sub-antarctique pour la première fois en 1772. Éclatée au mur, la carte du monde devient celle de l’histoire des propriétés. Ces livres, objets par excellence de la connaissance, Aurélien Mauplot ne souhaite pas tant leur infliger une forma de détérioration que tenter de désacraliser notre rapport à eux. Via les propositions de nouveaux usages qu’il en fait, il induit leur mise à distance critique. D’ailleurs, adepte de culture populaire et d’un « bouleversement de la perception à la portée de tous », l’artiste promeut la pratique de la spéléologie plutôt que de la philosophie pour aborder Platon.
Dans Imago Charta, il agrège une carte d’un pays, choisi cette fois pour son actualité politique, à des photographies de paysage qu’il a lui-même réalisées. L’image enregistrée et figurante (la photo) est alors mise en tension avec une image construite et abstraite (la carte). Des corrélations de sens naissent de cette nouvelle alliance, nous suggérant que « La chute de la Grèce » s’effondre dans l’océan, que « Le réveil égyptien » fait figure de pyramide elle-même incrustée dans une montagne, que « La fonte de l’antarctique », collée au dos d’un ordinateur est induite par l’industrie Apple, et que « Le maraîcher de l’Europe » est de la fumée qui s’échappe de la cheminée d’une usine. L’opération d’abstraction qu’Aurélien Mauplot entreprend dans son œuvre rend dérisoire la répartition du monde selon des intérêts économiques et politiques. Les contre-propositions cartographiques qu’il forge se rapprochent plus volontiers d’un atlas warburgien : une carte de l’imagination « traversière », sans début ni fin, qui privilégie une circulation entre les choses du monde par association, analogie et anachronisme. Des cartes composées de matériaux textuels ou visuels, que l’artiste recycle ou produit, comme autant de documents et « plateaux » connectés entre eux par voies à la fois superficielles (visibles et historiques) et souterraines (symptomales et archéologiques). {note}1
Publié à l’occasion du 59e Salon de Montrouge, 2014.
1À ce propos voir Georges Didi-Huberman, « Atlas ou le gai savoir inquiet. », L’œil de l’histoire 3, Les Éditions de Minuit, 2011