Le 15 septembre 1838, quelques années apès le départ du Beagle, où Charles Darwin esquisse ses théories, l’Australe, long bâtiment d’environ vingt-sept mètres et sept de large, vogue vers les mers du sud, à la recherche d’un continent inconnu.
Si depuis Lorient, le voyage se déroule sans avaries notoires, le passage du Cap Horn est évidemment difficile et huit matelots y périssent. Trente-quatre jours sont ainsi nécessaires au Capitaine Pierre de Karcouët pour s’extraire de l’effrayant passage et découvrir enfin le Pacifique.
Les mois suivants, les courants n’ont de cesse de dévier l’Australe, si bien que le 2 mars 1839, le navire frôle l’équateur ; le même jour, Hoel Sell, matelot et vigie à l’oeil perçant, alerte le pont qu’une terre est en vue. Malheureusement, les indications géographiques contenues dans le carnet de bord du capitaine et du contre-maître, sont respectivement erronées et en partie effacées...
L’Australe trouve le mouillage au crépuscule et jette l’ancre, sable tendre, dans la baie devenue, la Baie de la Vigie.
Le capitaine Karcouët, accompagné d’une dizaine d’hommes, débarque à terre. La végétation est d’une densité exceptionnelle. Par conséquent, il est impossible de pénétrer au-delà de la plage.
Les hommes parcourent alors le banc de sable de long en large et décident d’y retourner à l’aube, pendant que l’Australe effectue une reconnaissance des contours de ce qui s’avère être une île.
Le 5 mars, le Capitaine Karcouët fait la connaissance d’Oriata1, la chef du village.
Il apprend que l’île est appelée Moana Fa’a’aro2, à traduire du tahitien comme l’endroit au large où aucune terre n’est en vue.
Le 7, il est invité avec ses hommes pour une expédition de découverte au coeur de l’île.
Ils apprennent que l’île abrite un volcan, Ahi Nui3, endormi depuis plusieurs centaines d’années.
Ce jour-là, Oriata, raconte l’histoire de Ta’amu4, l’enfant née pendant Taia5, le jour du réveil d’Ahi Nui. Elle présente ensuite à l’équipage les fameuses et mystérieuses sculptures faites de bois et de lave qui, depuis Ta’amu, sont façonnées par les femmes du village et les protègent de la colère du volcan : les Paoratu mato, littéralement l’arbre qui pousse dans le rocher.
Au début du 21e siécle, le Point nommé, un modeste bâtiment d’une vingtaine de mêtres, redécouvre Moana Fa’a’aro. L’équipage rencontre les descendants du village d’Oriata. Ils apprennent le passage de l’Australe plus d’un siècle en arrière et la tradition des Paoratu mato. Mais alors, malgré l’entretien de la tradition depuis Ta’amu, les habitants craignent de nouvelles menaces : le rétrécissement de Moana Fa’a’aro et l’effondrement d’Ahi Nui, le volcan.
Le jour de l’appareillage du Point nommé, les villageois offrent plusieurs Paoratu mato à l’équipage. Ils les chargent d’en déposer un exemplaire à chacune de leurs étapes insulaires.
Ils espérent ainsi continuer à exister dans la conscience des autres îles dont ils ont oublié l’existence.
Les éléments présentés ici sont les spécimens restant, que l’équipage a choisi de conserver sur le vieux continent.
Joseph de Launes
Termes emprûntés du polynésien / [ou] : u / [aïa] : aia /
1. Oriata : dans les nuages du ciel
2. Moana Fa’a’aro : endroit au large où aucune terre n’est en vue
3. Ahi nui : le grand feu, volcan se dit, mou’a auahi qui signifie littéralement la montagne de feu
4. Ta’amu : prénom polynésien qui signifie le lien, ce qui lie
5. Taia : le chagrin, ici c’est un nom propre donné une periode funeste