Les dessins et les sculptures de Ludovic Beillard regardent dans les profondeurs de changements d’états émotionnels où se rencontrent le drame, la comédie, le grotesque et d’autres situations désespérées qui témoignent de sa sensibilité à l’expérience intime. Les masques en latex et tissu de la série Peste Noire (2017) semblent amplifier l’incarnation de sentiments enfouis qui auraient fini par se liquéfier. Les personnages s’isolent, reclus en petit comité ou en tête-à-tête, intercesseurs de récits proposés sous forme de saynètes. Dans Concert et maladies (2021) percole l’idée d’un enfermement civilisationnel où les protagonistes se retrouvent confinés dans la représentation d’espaces clos. Cet imaginaire traduit un réel teinté d’une anxiété latente qui se reflète dans les modèles miniatures patinés et légèrement défraîchis des appartements, des bars et des vitrines de l’exposition Tout s’arrange (2020). Ce sont des fantasmes peuplés d’idiosyncrasies, de preuves de soi imbriquées dans des décors, des maquettes tout droit sorties d’espaces mentaux où se rejouent indéfiniment une rupture, un départ, la fin des vacances.
Depuis 2021, Ludovic Beillard développe avec Angélique Aubrit une pratique collaborative. Au sein de vidéos et de performances, leurs propres histoires se mêlent à la mise en scène de personnages pris dans des psychodrames, avant de devenir des poupées inanimées qui encapsulent à leur tour ces histoires. Dans ces reconstitutions, des scènes de vie au bord de l’auto-fiction sont célébrées dans ce qu’elles ont de plus tragique, comique, mais aussi de plus confus, nébuleux et tendre. L’échec de la communication, le couple, la difficulté d’être en groupe, le rapport écrasant à l’altérité, la violence des amitiés ou encore les compromis et les réconciliations qui font tenir une histoire, entretiennent la boucle éternelle de la déflagration entre soi et les autres. Dans Je n’entends plus aucune voix (2021), deux personnages se séparent sur fond de papier peint jauni et se livrent à l’infinie comédie humaine, d’abord sous la forme d’une vidéo puis d’une performance.
Le reenactement et ses différents contextes accentuent l’ambiguïté entre objets morts et personnages vivants, entre le sujet et l’objet, entre les limites de la durée réaliste et les étendues de l’espace fictionnel, lequel semble dès lors autant exister qu’un espace réel. À la fois costumes et sculptures, les poupées s’envisagent comme des objets transitionnels, des interfaces poreuses aux écarts émotionnels. Elles incarnent des figures dissociées, permettant de se projeter dans les formes d’un refoulement collectif. À l’intérieur de ces récits théâtralisés, elles s’écrasent autant qu’elles se réconfortent face à la complexité de l’altérité. Tout se délite, chaque personnage traverse la fiction, dérive comme un moi défoncé, névrosé, qui enfle et menace de tomber en se déplaçant périlleusement dans le décor. Comme quoi les histoires aussi se laissent tomber. Les unes dans les autres, c’est un film qui n’en finit pas de recommencer.